Femme forte, juge et prophétesse, qui est Déborah ?

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Qui est Déborah dans la Bible ? Quel est son rôle ? Que se passe-t-il au Mont Thabor dans l’Ancien Testament ? Quel est le rapport entre Yaël et Déborah ?

4 minutes et 26 secondes
Dernière mise à jour -  
16/4/2024

Histoire biblique et géographie française

Le Mont Thabor n’est pas celui qu’on croit.

Il existe bel et bien dans les Alpes un pic culminant au sommet du Mont Thabor (ici photographié par une belle journée d'été), mais il s’agit probablement d’un nom attribué par les explorateurs… en référence à un autre Mont Thabor — l’original, si on peut dire.

Le vieux Mont Thabor qui donna son nom à ce sommet français n’est pas en Europe... mais bien en Galilée, à environ 10 kilomètres à l’Est de Nazareth. Et il est mentionné dès l’Ancien Testament, notamment lors d’une bataille opposant Yabîn le roi de Canaan et son chef Sisera d’une part ; et d’autre part Déborah la Juge d’Israël assistée du général Baraq (un gars pas si costaud d’ailleurs).

Allez, l’intro c’est fini, place au texte biblique, direction le chapitre 4 du Livre des Juges.

En bonus, sachez qu’il existe même une Rue du Mont Thabor, dans le premier arrondissement de Paris, à côté du jardin des Tuileries !

Le texte biblique qui raconte l’histoire de Déborah, Baraq et Yaël

Le passage qui suit est un extrait du Livre des Juges. Il raconte l’histoire du peuple d’Israël après l'entrée en Terre Promise. Le passage est un peu long, mais c'est facile à lire — c'est une histoire à rebondissements !

Les fils d’Israël firent encore ce qui est mal aux yeux de YHWH après la mort d’Éhud et YHWH les vendit entre les mains de Yabîn roi de Canaan qui régnait à Haçor. Le chef de son armée était Sisera et il habitait à Haroshèt-ha-Goyim. Les fils d’Israël crièrent vers YHWH car Yabîn avait neuf cents chars de fer et depuis vingt ans il opprimait durement les fils d’Israël.

Et Débora, prophétesse, femme de Lappidot, jugeait Israël en ce temps-là. Elle siégeait sous le palmier de Débora, entre Rama et Béthel, dans la montagne d’Éphraïm et les fils d’Israël montaient vers elle pour être jugés.

Elle envoya appeler Baraq, fils d’Abinoam de Qédesh en Nephtali et elle lui dit :
— N’est-ce pas l’ordre qu’a donné YHWH le Dieu d’Israël ? Va, rends-toi sur le mont Tabor et prends avec toi dix mille hommes, des fils de Nephtali et des fils de Zabulon. Je t’amènerai au torrent de Qishôn et Sisera, le chef de l’armée de Yabîn avec ses chars et sa multitude, je les livrerai entre tes mains.

Et Baraq lui dit :
— Si tu vas avec moi, j’irai. Et si tu ne vas pas avec moi, je n’irai pas.

Elle répondit :
— Oui, j’irai avec toi. Mais dans l’expédition que tu vas faire, la gloire ne sera pas pour toi car [c’est] entre les mains d’une femme [que] YHWH livrera Sisera.

Et Débora se leva et elle se rendit avec Baraq à Qédesh. Baraq convoqua Zabulon et Nephthali à Qédesh et dix mille hommes partirent à sa suite et Débora partit avec lui.

Héber le Qénite s’était séparé de la tribu de Qayîn et du clan des fils de Hobab, beau-frère de Moïse, et il avait dressé sa tente jusqu’au chêne de Çaanannim près de Qédesh.

On annonça à Sisera que Baraq, fils d’Abinoam, était parti vers le mont Tabor et Sisera rassembla tous ses chars, neuf cents chars de fer, et tout le peuple qui était avec lui de Haroshèt-ha-Goyim vers le torrent de Qishôn. Alors Débora dit à Baraq :
— Lève-toi car voici le jour où YHWH a livré Sisera entre tes mains. Est-ce que YHWH n’est pas sorti devant toi ?

Et Baraq descendit du mont Tabor, ayant dix mille hommes à sa suite. YHWH mit en déroute Sisera, tous ses chars et toute son armée par le tranchant de l’épée devant Baraq, et Sisera descendit de son char et s’enfuit à pied. Baraq poursuivit les chars et l’armée jusqu’à Haroshèt-ha-Goyim et toute l’armée de Sisera tomba sous le tranchant de l’épée et pas un homme n’échappa.

Sisera se réfugia à pied dans la tente de Yaël, femme de Héber le Qénite, car il y avait paix entre Yabîn roi de Haçor et la maison de Héber le Qénite. Yaël sortit au-devant de Sisera et lui dit :
— Entre, mon seigneur, entre chez moi, ne crains pas. Il entra chez elle dans la tente et elle le cacha sous une couverture.

Il lui dit :
— Donne-moi, je te prie, un peu d’eau à boire car j’ai soif.

Elle ouvrit l’outre du lait, lui donna à boire et le couvrit. Et il lui dit :
— Tiens-toi à l’entrée de la tente et si l’on vient t’interroger en disant : “Y a-t-il un homme ici ?”, tu répondras : “Il n’y en a pas”.

Yaël femme de Héber saisit le pieu de la tente, et ayant pris en main le marteau, elle s’approcha de lui doucement et lui enfonça dans la tempe le pieu qui pénétra dans le sol — car il dormait profondément, étant accablé de fatigue — et il mourut. Et voici, comme Baraq poursuivait Sisera, Yaël sortit à sa rencontre et lui dit :
— Viens et je te montrerai l’homme que tu cherches.

Il entra chez elle et vit Sisera étendu mort, le pieu dans la tempe. En ce jour, Dieu humilia Yabîn, roi de Canaan, devant les fils d’Israël et la main des enfants d’Israël s’appesantit de plus en plus sur Yabîn roi de Canaan, jusqu’à ce qu’ils eussent détruit Yabîn roi de Canaan.

Livre des Juges, chapitre 4, versets 1 à 24. Traduit de l’hébreu par les équipes du programme de recherche La Bible en ses Traditions.

Déborah la courageuse, Baraq le lâche et Yaël la combattante

Louis-François Cassas (1756-1827), Vue du Mont Thabor en Galilée prise du côté du chemin de Nazareth (1822, plume et encre de Chine, aquarelle gouachée, 48 x 66 cm), Collection privée. Domaine public.

Dieu suscite des juges pour sauver et gouverner son peuple

La semaine dernière, on s’est penché sur le début du Livre des Juges, rappelant que l’histoire commence par l’oubli de Dieu et le péché généralisé du peuple d’Israël. Ici, rebelotte :

« Les fils d’Israël firent encore ce qui est mal aux yeux de YHWH » (Jg 4, 1)

Dieu suscite alors un « juge » pour redresser la situation et sauver son peuple. Ainsi, Otniel, Ehoud et Shamgar se succèdent dans la liste.

Et voici qu’apparaît le quatrième Juge, ou plutôt « la » quatrième Juge, car c’est une femme : Déborah (aussi écrit Débora).

« Et Débora, prophétesse, femme de Lappidot, jugeait Israël en ce temps-là. » (Jg 4, 4)

Détail d’importance : Déborah est non seulement une Juge, mais aussi une prophétesse. Or, le rôle d’un prophète n’est pas de gouverner, mais de transmettre au peuple les paroles de Dieu. Déborah a donc cette double casquette !

En hébreu, Déborah signifie « abeille ». Pour l’instant on pose ça là, c’est un détail. On y reviendra plus tard.

Salomon de Bray (1597-1664), Yaël, Déborah et Barak (1635, huile sur panneau de bois, 87 x 72 cm), Musée du couvent Sainte-Catherine, Utrecht (Pays-Bas). Domaine public.

Baraq le pleutre et Déborah la courageuse

Contrairement à ses prédécesseurs, Déborah n’est pas une Juge chargée de mener la bataille. Car Déborah est une prophétesse : son rôle est donc de parler au nom de Dieu et non de sauver elle-même. 

Le général de l’armée d’Israël s’appelle Baraq — ce qui signifie « éclair / foudre » en hébreu. Bref, l’étymologie hébraïque suggère symboliquement sa mission... Si quelqu’un est chargé de mener la bataille et de diriger les affaires militaires, c’est bien lui !

Mais Baraq manque de courage et de foi. Ainsi, tout au long de ce récit :

  • c’est bien Déborah qui incarne l’autorité, 
  • tandis que Baraq se distingue avant tout par sa peur. 

Le texte biblique prend d’ailleurs grand soin de souligner ce décalage : le personnage le plus courageux n’est pas un homme (Baraq) mais bien une femme (Déborah). Si besoin est de tordre le cou à des idées reçues…

« [Déborah] envoya appeler Baraq et lui dit : 
— N’est-ce pas l’ordre qu’a donné YHWH le Dieu d’Israël ? Va, rends-toi sur le mont Tabor et prends avec toi dix mille hommes [...]. 
Et Baraq lui dit :
— Si tu vas avec moi, j’irai. Et si tu ne vas pas avec moi, je n’irai pas. » (Jg 4, 6-8)

Par peur et par manque de courage, Baraq n’accepte d’aller au combat qu’à une condition : que Déborah l’accompagne. Remarquons au passage la fermeté de Déborah : c’est elle qui donne des ordres à Baraq, lui le chef militaire !

Déborah accompagne donc Baraq jusqu’au lieu de bataille, autour du Mont Tabor. Mais elle lui indique clairement que c’est à une femme que reviendra l’honneur de la victoire (ce sera Yaël). Bis repetita, si besoin est de remettre en place quelques machos…

« J’irai avec toi. Mais dans l’expédition que tu vas faire, la gloire ne sera pas pour toi car [c’est] entre les mains d’une femme [que] YHWH livrera Sisera. » (Jg 4, 9) 
Léon Cogniet (1794-1880), Yaël tuant Sisera (vers 1870, peinture à l'huile sur panneau, dimensions inconnues), Collection privée. Domaine public.

Yaël, une femme complètement marteau

Face à la mollesse et la pleutrerie du couard Baraq, Déborah réagit par un vigoureux impératif : « lève-toi » (Jg 4,14). Après cette harangue de Déborah pour envoyer Baraq mener les troupes à la bataille, voici que la victoire est donnée au peuple d’Israël. 

L’expression « la victoire est donnée » est d’ailleurs la formule la plus juste, car le principal acteur de cette victoire n’est pas Baraq ni ses soldats ni même Déborah, mais bien… le Dieu d’Israël. 

« YHWH mit en déroute Sisera, tous ses chars et toute son armée par le tranchant de l’épée devant Baraq, et Sisera descendit de son char et s’enfuit à pied. » (Jg 4, 14-15)

Sisera, le général ennemi, est mis en déroute et s’enfuit lâchement pour se réfugier dans un village neutre, chez Héber le Qénite. Apparaît alors un nouveau personnage : Yaël. 

Sisera se réfugie dans la tente de Yaël. S’ensuit ce que certains commentateurs interprètent comme une sorte de scène de viol inversée. En effet, plusieurs indices laissent à penser que Sisera s’apprête à violer Yaël :  

  • Le contexte plante le décor : un homme et une femme entrent dans une tente, lieu clos et à l’abri des regards.
  • Yaël quitte la tente et revient armée d’un marteau et d’un pieu, c’est-à-dire une longue tige cylindrique similaire à la forme du sexe masculin. 
  • Enfin, Yaël enfonce le pieu dans la tête de Sisera, dans une scène de pénétration abominable de violence. 
  • Symboliquement, c’est le violeur qui est violé.
« Yaël femme de Héber saisit le pieu de la tente, et ayant pris en main le marteau, elle s’approcha de lui doucement et lui enfonça dans la tempe le pieu qui pénétra dans le sol — car il dormait profondément, étant accablé de fatigue — et il mourut. » (Jg 4, 21)

Dans l’histoire de l’art, cette scène violente et sanglante a donné lieu à de nombreux tableaux. Si vous croisez un personnage avec un marteau et un pieu dans les allées d’un musée, vous savez désormais qu’il y a de bonnes chances que ce soit Yaël !

Jan Speeckaert (ca 1540-1577), Yaël et Sisera (avant 1577, huile sur toile, 170 x 167 cm), Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam (Pays-Bas). Domaine public.

Conclusion : Yaël et Déborah

Cet épisode particulièrement sanglant a toutes les raisons du monde de nous choquer. Mais il convient de le remettre dans son contexte, et de dévoiler un dernier détail pour comprendre le sens de ce récit.

Tout d’abord, rappelons une évidence. Ce récit ne fait pas l’apologie de la violence, et encore moins l’apologie de la violence au nom de Dieu. Pour les Chrétiens, ce texte s’interprète symboliquement : Sisera est un symbole du péché, et l’action de Yaël indique comment combattre le péché — et non comment tuer les ennemis de la nation.

Dernier détail, le nom Yaël signifie « chèvre », et Yaël ne donne pas de l’eau mais du lait à Sisera. Vous ne voyez toujours pas ?

  • Déborah signifie « abeille »
  • et Yaël signifie « chèvre ».

En fait, il faut mettre en écho les deux personnages féminins de ce récit pour comprendre le sens de cette histoire : à elles deux, la chèvre (Yaël) et l’abeille (Déborah), elles donnent le lait et le miel qui caractérisent la Terre Promise.

Ces discrets indices permettent finalement de saisir l’essence de ce récit : il est question de combattre le mal, symbolisé par l’envahisseur Yabin et son général Sisera. Et ce sont deux femmes qui mènent à bien cette œuvre pour retrouver les promesses caractéristiques de la Terre Promise — car l’expression « pays du lait et du miel » est presque une seconde définition de la Terre Promise, et survient dès le Livre de l’Exode dans la bouche de Dieu s’adressant à Moïse : 

« [Dieu] dit : “J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs ; oui, je connais ses angoisses. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste, vers une terre qui ruisselle de lait et de miel”. » (Ex 3, 7-8)
Johann Spilberg (1619-1690), Yaël avec un marteau et un pieu (1644, huile sur toile, 77 x 68 cm), Gemäldegalerie, Berlin (Allemagne). Domaine public.

Le mot de la fin

Parmi les figures féminines d’envergure dans l’Ancien Testament, le bibliste dominicain Philippe Lefebvre évoque la prophétesse Déborah avec passion :

« Déborah est une figure emblématique des femmes de la Bible qui luttent pour faire vivre les autres. Elle interroge notamment un homme, Barak, à propos du message qu’il a reçu du Seigneur et de la raison pour laquelle il n’a pas fait ce qu’il lui avait ordonné. Après avoir confessé qu’il n’avait pas eu le courage, Barak lui répond: "Si tu viens avec moi, je le ferai".

Déborah témoigne aussi du retournement complet de la figure féminine, comme elle était conçue dans la tradition de l’époque. Elle interpelle les hommes, elle sort de la maison, où les femmes restaient en attendant leurs maris, et elle lutte. Et ce n’est pas un cas isolé : les femmes importantes incitent souvent les hommes à mettre en œuvre ce que Dieu leur a recommandé de faire. »

Philippe Lefebvre, Brèves rencontres : vies minuscules de la Bible, Paris, Cerf, 2015

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