Peut-on parler d'analogie dans la Bible ?

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Qu'est-ce qu'une analogie ? Quel est son sens étymologique ? Quels sont ses impacts sur la perception de la création, sur les fondements chrétiens ?

3 minutes et 42 secondes avec Edouard Baer, François Cheng et Grégoire de Nysse
Dernière mise à jour -  
13/10/2022

Edouard Baer séduit par la beauté de la création

homme femme nature lac chapeau
« Mademoiselle, tout ce qui est sublime se rapporte à votre Créateur.
Le sublime n’est pas une passion, c’est une émotion.
Une émotion qui traverse notre âme et qui, l’espace d’un instant, dans un vertige, nous rapproche de l’indicible vérité. […] Comprenez que les âmes qui s’intéressent au sublime sont les plus belles »

Voilà ce que déclare le libertin marquis des Arcis, joué par Edouard Baer, à Mademoiselle de Joncquières jouée par Alice Isaaz, dans le film réalisé par Emmanuel Mouret. Franchement, le marquis ne croyait pas si bien dire…

Le texte biblique qui raconte la beauté du monde créé par Dieu

Sont insensés par nature,
tous les hommes qui n'avaient pas la connaissance de Dieu et qui n’ont pas su, par les biens visibles, connaître celui-qui-est ni,
considérant ses œuvres, reconnaître l’Ouvrier.

Mais le feu, le vent, l’air rapide, le cercle des étoiles, l’eau impétueuse,
les flambeaux du ciel, ils les ont tenus pour des dieux gouverneurs de l’univers.

Si, charmés de leur beauté,
ils ont pris ces [créatures] pour des dieux,
qu’ils sachent combien leur Maître est plus beau
car c’est l’Auteur même de la beauté qui les a créées.

Et s’ils en admiraient la puissance et l'activité
qu’ils en concluent combien est plus puissant
Celui qui les a formées.

Car à partir de la grandeur et la beauté des créatures,
leur Créateur peut être contemplé par analogie.

Chapitre 13, versets 1 à 5 du Livre de la Sagesse, dans l'Ancien Testament. Traduit du texte grec par les équipes de notre programme de recherches La Bible en ses traditions.

Étymologie et analogie dans la Bible

Ce passage du Livre de la Sagesse est, pour nous, un des plus beaux textes de l’Écriture Sainte. On serait à votre place, on le relirait deux ou trois fois.

Johann Wenzel Peter (1745-1829), Adam et Ève au Paradis Terrestre (vers 1815, huile sur toile 247 x 336 cm), Musée du Vatican. Domaine public.

Une époque polythéiste

En fait, ce texte est écrit dans le contexte antique où le peuple d’Israël est entouré de cultures polythéistes. On vous refait l’étymologie si vous n’êtes pas au taquet :

  • « poly » vient du grec πολύς (polus), qui signifie plusieurs
  • « théisme » de θεός (theos), qui signifie dieu.

L’auteur biblique désigne donc ces croyances religieuses qui assimilent l’immensité des splendeurs contenues dans le cosmos à autant de dieux qu’il faudrait révérer pour s’attirer leurs faveurs.

L'auteur biblique explique que les cultes païens naissent de cette fascination des hommes qui considèrent le soleil, la lune, les vents ou la mer comme des dieux.
Il qualifie de folie cette attitude, c’est le premier mot de son texte : « Insensés ».

gravure soleil perce nuages brume montagne
Gustave Doré (1832-1883), La création de la Lumière (dessin, 1866). llustration de la Bible, Ancien Testament, Livre de la Genèse, chapitre 1, verset 3.

La révolution de l'analogie

L’auteur du Livre de la Sagesse affirme que, malgré leurs splendeurs, ces immensités ne sont pas des dieux. Elles permettent cependant de connaître le Dieu unique : « à partir de la grandeur et la beauté des créatures, leur Créateur peut être contemplé par analogie » (Sg 13,5)

Le terme « analogie » est d’une importance capitale pour fonder la théologie de la connaissance. Cette approche intellectuelle a profondément bouleversé la perception antique de l’univers.

Que signifie le mot « analogie » ?

Il vient du grec ἀναλογος (analogie), qui est composé de :

  • ἀνα- (ana) : un préfixe qui indique un mouvement d’ascension, de montée.
  • -λογος (logos) désigne la parole.

L’analogique, c'est ce qui est « proportionnel, qui est en rapport avec » : la création garde un rapport avec son Créateur et a une certaine ressemblance avec Lui.

Par la splendeur de l'Œuvre, on entrevoit la splendeur de l'Auteur. Le Livre de la Sagesse affirme que la beauté de la création, au lever du soleil ou quand la voûte céleste est parsemée d’étoiles un soir d’été, nous invite à reconnaître et à contempler Celui qui en est à l’origine.

Dieu drapé rouge anges chevelure bras pointe
Michel-Ange (1475-1564), La création de la lune, du soleil et des plantes (fresque, 1511), Chapelle Sixtine, Vatican. Rome, Italie. Domaine public.

L'analogie comme antidote

Ce faisant l’auteur biblique donne une clé importante pour distinguer la Révélation biblique d'autres approches humaines du rapport à la Création :

  • Le panthéisme d’abord : toute chose n’est pas Dieu, mais toute chose étant créé par lui, ces merveilles nous parlent de Dieu. Ce qui bouleverse le rapport de l’homme à la Création.
  • L’athéisme : la pensée d’une absence de Dieu n’enlève rien du sublime de la Création, mais elle la rend sublime et dérisoire. L’auteur biblique nous indique qu’au fond de notre cœur, dans l’émerveillement face à la beauté, nous pouvons trouver une trace de ce pressentiment divin qui nous prémunit du désespoir athée.
  • Un agnosticisme qui affirmerait l’inconnaissabilité pure et simple de Dieu et qui, en cela n’est pas si éloigné de la philosophie de Plotin ou de certaines théologies musulmanes. Dans cette pensée, Dieu ou une force supérieure (qui s’appellerait l’Être suprême, l’Un…) serait parfaitement transcendant, inaccessible, demeurant hors de portée de toute connaissance. Ici, le livre de la Sagesse nous indique que Dieu se laisse connaître, et que l’une des voies de cette connaissance est la contemplation de la Création qui témoigne à la fois de sa puissance et de sa beauté.
Jérôme Bosch (1450-1516), détail du Jardin des délices (huile sur bois 220 x 336 cm), Musée du Prado, Madrid (Espagne). Domaine public.

Fondement de la théologie chrétienne de la connaissance

Le Livre de la Sagesse affirme donc la possibilité pour tout homme, même en dehors de la Révélation, d’avoir l’intuition du Dieu Créateur par sa raison.

Ce passage biblique est repris par saint Paul dans l’épître aux Romains (Rom 1, 20) et cité par le Concile Vatican I, pour fonder une anthropologie résolument positive : tout homme est raisonnablement capable de rentrer dans la connaissance de Dieu.

Et les Pères de l’Église n'ont eu de cesse de commenter cette connaissance analogique en insistant sur son potentiel, mais aussi sur ses limites. Car si Dieu se laisse connaître, Dieu reste infini et l’homme ne cessera jamais de Le contempler comme le soulignent Grégoire de Nysse ou Jean Chrysostome :

« Alors Dieu fait paraître l’homme en ce monde, pour être des merveilles de l’univers et le contemplateur et le maître : il veut que leur jouissance lui donne l’intelligence de celui qui les lui fournit, tandis que la grandiose beauté de ce qu’il voit le met sur les traces de la puissance ineffable et inexprimable du Créateur. »*
« Nous admirons aussi l’immensité et l’abîme infini de la mer, mais alors avec crainte, lorsque nous nous penchons sur cet abîme. De même l’écrivain sacré, s’étant penché sur l’océan infini, abyssal, de la Sagesse de Dieu, a été pris de 
vertige. Il admira avec tremblement et recula en disant : ‘Je te bénirai parce que tu es admiré avec une crainte sacrée ; admirable sont tes œuvres.’ Et aussi : Ta sagesse a été pour moi un objet d’admiration [...], il m’est impossible de la saisir’ (Ps 138). » **
Icônes de Grégoire de Nysse et de Jean Chrysostome

Le mot de la fin

Et on laisse le mot de la fin à François Cheng avec ce texte qui nous a été envoyé par un de nos si chers lecteurs :

« La beauté n’est pas un simple ornement. La beauté c’est un signe par lequel la création nous signifie que la vie a du sens.

Avec la présence de la beauté, tout d’un coup, on a compris que l’univers vivant n’est pas une énorme entité neutre et indifférenciée mais qu’il est mû par une intentionnalité »

François Cheng (mercredi 29 janvier 2020 au cours de l’émission TV La Grande Librairie animée par François Busnel, sur France 5)

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