Qu'est-ce qu'une analogie ? Quel est son sens étymologique ? Quels sont ses impacts sur la perception de la création, sur les fondements chrétiens ?
« Mademoiselle, tout ce qui est sublime se rapporte à votre Créateur.
Le sublime n’est pas une passion, c’est une émotion.
Une émotion qui traverse notre âme et qui, l’espace d’un instant, dans un vertige, nous rapproche de l’indicible vérité. […] Comprenez que les âmes qui s’intéressent au sublime sont les plus belles »
Voilà ce que déclare le libertin marquis des Arcis, joué par Edouard Baer, à Mademoiselle de Joncquières jouée par Alice Isaaz, dans le film réalisé par Emmanuel Mouret. Franchement, le marquis ne croyait pas si bien dire…
Sont insensés par nature,
tous les hommes qui n'avaient pas la connaissance de Dieu et qui n’ont pas su, par les biens visibles, connaître celui-qui-est ni,
considérant ses œuvres, reconnaître l’Ouvrier.
Mais le feu, le vent, l’air rapide, le cercle des étoiles, l’eau impétueuse,
les flambeaux du ciel, ils les ont tenus pour des dieux gouverneurs de l’univers.
Si, charmés de leur beauté,
ils ont pris ces [créatures] pour des dieux,
qu’ils sachent combien leur Maître est plus beau
car c’est l’Auteur même de la beauté qui les a créées.
Et s’ils en admiraient la puissance et l'activité
qu’ils en concluent combien est plus puissant
Celui qui les a formées.
Car à partir de la grandeur et la beauté des créatures,
leur Créateur peut être contemplé par analogie.
Ce passage du Livre de la Sagesse est, pour nous, un des plus beaux textes de l’Écriture Sainte. On serait à votre place, on le relirait deux ou trois fois.
En fait, ce texte est écrit dans le contexte antique où le peuple d’Israël est entouré de cultures polythéistes. On vous refait l’étymologie si vous n’êtes pas au taquet :
L’auteur biblique désigne donc ces croyances religieuses qui assimilent l’immensité des splendeurs contenues dans le cosmos à autant de dieux qu’il faudrait révérer pour s’attirer leurs faveurs.
L'auteur biblique explique que les cultes païens naissent de cette fascination des hommes qui considèrent le soleil, la lune, les vents ou la mer comme des dieux.
Il qualifie de folie cette attitude, c’est le premier mot de son texte : « Insensés ».
L’auteur du Livre de la Sagesse affirme que, malgré leurs splendeurs, ces immensités ne sont pas des dieux. Elles permettent cependant de connaître le Dieu unique : « à partir de la grandeur et la beauté des créatures, leur Créateur peut être contemplé par analogie » (Sg 13,5)
Le terme « analogie » est d’une importance capitale pour fonder la théologie de la connaissance. Cette approche intellectuelle a profondément bouleversé la perception antique de l’univers.
Il vient du grec ἀναλογος (analogie), qui est composé de :
L’analogique, c'est ce qui est « proportionnel, qui est en rapport avec » : la création garde un rapport avec son Créateur et a une certaine ressemblance avec Lui.
Par la splendeur de l'Œuvre, on entrevoit la splendeur de l'Auteur. Le Livre de la Sagesse affirme que la beauté de la création, au lever du soleil ou quand la voûte céleste est parsemée d’étoiles un soir d’été, nous invite à reconnaître et à contempler Celui qui en est à l’origine.
Ce faisant l’auteur biblique donne une clé importante pour distinguer la Révélation biblique d'autres approches humaines du rapport à la Création :
Le Livre de la Sagesse affirme donc la possibilité pour tout homme, même en dehors de la Révélation, d’avoir l’intuition du Dieu Créateur par sa raison.
Ce passage biblique est repris par saint Paul dans l’épître aux Romains (Rom 1, 20) et cité par le Concile Vatican I, pour fonder une anthropologie résolument positive : tout homme est raisonnablement capable de rentrer dans la connaissance de Dieu.
Et les Pères de l’Église n'ont eu de cesse de commenter cette connaissance analogique en insistant sur son potentiel, mais aussi sur ses limites. Car si Dieu se laisse connaître, Dieu reste infini et l’homme ne cessera jamais de Le contempler comme le soulignent Grégoire de Nysse ou Jean Chrysostome :
« Alors Dieu fait paraître l’homme en ce monde, pour être des merveilles de l’univers et le contemplateur et le maître : il veut que leur jouissance lui donne l’intelligence de celui qui les lui fournit, tandis que la grandiose beauté de ce qu’il voit le met sur les traces de la puissance ineffable et inexprimable du Créateur. »*
« Nous admirons aussi l’immensité et l’abîme infini de la mer, mais alors avec crainte, lorsque nous nous penchons sur cet abîme. De même l’écrivain sacré, s’étant penché sur l’océan infini, abyssal, de la Sagesse de Dieu, a été pris de vertige. Il admira avec tremblement et recula en disant : ‘Je te bénirai parce que tu es admiré avec une crainte sacrée ; admirable sont tes œuvres.’ Et aussi : Ta sagesse a été pour moi un objet d’admiration [...], il m’est impossible de la saisir’ (Ps 138). » **
Et on laisse le mot de la fin à François Cheng avec ce texte qui nous a été envoyé par un de nos si chers lecteurs :
« La beauté n’est pas un simple ornement. La beauté c’est un signe par lequel la création nous signifie que la vie a du sens.
Avec la présence de la beauté, tout d’un coup, on a compris que l’univers vivant n’est pas une énorme entité neutre et indifférenciée mais qu’il est mû par une intentionnalité »
François Cheng (mercredi 29 janvier 2020 au cours de l’émission TV La Grande Librairie animée par François Busnel, sur France 5)
On vous propose de suivre des cours aux Bernardins