Qui est Samuel dans la Bible ? Que fait-il lorsqu’il entend un appel en pleine nuit ? Quelle est sa mission ?
Un peu de soul pour s'ambiancer.
Chanté par Jevetta Steele dans le film Bagdad Café sorti en 1988, le morceau « Calling You » est une longue complainte. À plusieurs reprises, la chanteuse appelle quelqu'un — en vain.
Dans la Bible, Dieu aussi appelle plusieurs fois quelqu'un qui l'entend parfaitement… mais qui tarde à lui répondre. Allez, direction l'Ancien Testament pour découvrir cette histoire !
Confié au prêtre Éli (*à ne pas confondre avec le prophète Élie, attention), le jeune Samuel est au service du Temple et du culte.
Le jeune Samuel servait YHWH devant Éli. Et la parole de YHWH était rare en ces jours-là : il n’y avait pas de vision fréquente.
Il arriva donc en ce jour qu’Éli était couché à sa place et ses yeux avaient commencé à se troubler et il ne pouvait plus voir. La lampe de Dieu ne s’était pas encore éteinte et Samuel était couché dans le temple de YHWH où était l’arche de Dieu. YHWH appela Samuel et il dit :
— Me voici.
Et il courut auprès d’Éli et dit :
— Me voici car tu m’as appelé.
Celui-ci dit :
— Je n’ai pas appelé, retourne, couche-toi.
Et il s’en alla et se coucha.
Et YHWH appela de nouveau Samuel et Samuel se leva, alla vers Éli et dit :
— Me voici car tu m’as appelé.
Et il dit :
— Je n’ai pas appelé mon fils. Retourne, couche-toi.
Or Samuel ne connaissait pas encore YHWH et la parole de YHWH ne lui avait pas encore été révélée. YHWH appela de nouveau Samuel pour la troisième fois. Et il se leva, alla vers Éli et dit :
— Me voici car tu m’as appelé.
Éli comprit alors que c’était YHWH qui appelait l’enfant. Et il dit à Samuel :
— Va couche-toi et si l’on t’appelle tu diras : "Parle, YHWH, car ton serviteur écoute."
Et Samuel s’en alla et se coucha à sa place.
Et YHWH vint et se tint là et il appela comme les autres fois :
— Samuel ! Samuel !
Et Samuel dit :
— Parle, car ton serviteur écoute.
Et YHWH dit à Samuel :
— Voici que je vais faire dans Israël une chose telle que quiconque l’entendra, ses deux oreilles [lui] tinteront. [...]
Samuel devint grand et YHWH était avec lui et il ne laissa tomber à terre aucune de ses paroles. Et tout Israël, depuis Dan jusqu’à Ber Sheva reconnut que Samuel était établi prophète de YHWH.

Samuel est le fils d'Anne et d'Elqana… et il n'est pas venu au monde sans difficulté ! On vous refait l’histoire en express : tandis qu’elle est stérile, Anne supplie Dieu de lui donner un enfant. En échange, elle promet de consacrer cet enfant tant espéré au service de Dieu. Et Dieu l'exauce !
« Et il arriva dans le cours des jours qu'Anne conçut et elle enfanta un fils, elle l'appela du nom de Samuel. » (1S 1, 20)
Notons d’emblée un détail qui suggère l'importance de Samuel : dans la Bible, la stérilité est souvent l'occasion pour Dieu de se révéler (coucou Sarah, Rébecca, Rachel ou encore Élisabeth).
On devine donc que la naissance de Samuel est un cadeau de Dieu — et que la vie de cet enfant promet d'être exceptionnelle.
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« La lampe de Dieu ne s’était pas encore éteinte et Samuel était couché dans le temple de YHWH où était l’arche de Dieu. » (1S 3, 3)
Le récit plante d'emblée le décor : Samuel est littéralement endormi au pied de l’arche d’alliance, c’est-à-dire au plus près du lieu le plus sacré qui symbolise la présence de Dieu au milieu de son peuple. Sympa la chambre.
Puis Dieu appelle Samuel trois fois — sans succès. Pour le coup, l'appel est bien-bien-bien insistant. D'ailleurs, le verbe « appeler » apparaît plus de dix fois en seulement cinq versets !!
C'est là que le rôle d'Éli (un adulte et un prêtre, donc un bon conseiller a priori) est crucial ! En effet, Samuel est un enfant, donc il ne peut pas comprendre seul ce qui est en train de se passer.
« Éli comprit alors que c’était YHWH qui appelait l’enfant. Et il dit à Samuel : “Va couche-toi et si l’on t’appelle tu diras : ‘Parle, YHWH, car ton serviteur écoute’.” » (1S 3, 9)
Autrement dit : la rencontre et la compréhension de l'appel de Dieu passe aussi par des médiations — comme le représente magnifiquement John Singleton Copley dans le tableau ci-dessous.
« Éli dit à Samuel : “Quelle est la parole que Dieu t’a dite ?” […] Alors Samuel lui raconta toutes les paroles et il ne les lui cacha pas. » (1S 3, 17-18)
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Point étonnant : Dieu appelle Samuel alors que celui-ci « ne connaissait pas encore YHWH et la parole de YHWH ne lui avait pas encore été révélée » (1S 3, 7)
Dans la Bible, le mot « connaître » a un double sens : il peut signifier découvrir mais aussi, dans certains contextes, épouser. Connaître Dieu, c'est entrer en relation personnelle avec lui. Et jusqu'à présent, Samuel n'a jamais établi de dialogue personnel avec Dieu.
Qui plus est, Samuel a tout du parfait élève. En accourant vers son maître à l'appel de Dieu, il se rend disponible et obéit en s'écriant à chaque fois « Me voici car tu m’as appelé ».
Le zèle et la docilité de Samuel constituent finalement le point de départ de la révélation... de sa future vocation prophétique !
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Finalement, Samuel passe par bien des détours avant d’enfin obtenir l'aide d'un guide avisé pour comprendre ce qu'il se passe.
Ce passage est donc un modèle... de récit de vocation. Il s’inscrit d’ailleurs dans la lignée des récits de vocation surprenants dans la Bible : ici, Dieu n'appelle pas un héros surpuissant aux pouvoirs herculéens ou à la renommée immense... mais un petit enfant. Un enfant qui ne comprend pas tout de suite ni tout seul qu'il est appelé — un peu comme les trois enfants de Fatima qui reçoivent une apparition de la Vierge Marie en 1917, ou encore comme la jeune Bernadette Soubirous au détour d'une rivière au fin fond du Béarn en 1858... si on ose ce parallèle avec l'actualité et l'histoire de l'Église. On repense alors à cette prière de Jésus dans l'évangile :
« Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et tu les as révélées aux petits enfants. » (Mt 11, 25)
Breeeeef, placé au tout début du livre qui porte son nom, ce récit de vocation fonde l'autorité de Samuel, prophète et envoyé de Dieu. Mais ça, on y reviendra dans un prochain article !
Et on finit en musique et en déhanché avec le plus célèbre des Samuel, champion du monde 2018... Tandis qu'il vient d'annoncer sa retraite professionnelle en septembre 2025...
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On termine en poésie avec Paul Verlaine qui exprime toute la peine qui est la sienne dans sa recherche de Dieu.
« J'ai répondu : Seigneur, vous avez dit mon âme.
C'est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas.
Mais vous aimer ! Voyez comme je suis en bas,
Vous dont l'amour toujours monte comme la flamme.
Vous, la source de paix que toute soif réclame,
Hélas ! Voyez un peu mes tristes combats !
Oserai-je adorer la trace de vos pas,
Sur ces genoux saignants d'un rampement infâme ?
Et pourtant je vous cherche en longs tâtonnements,
Je voudrais que votre ombre au moins vêtît ma houle,
Mais vous n'avez pas d'ombre, ô vous dont l'amour monte,
Ô vous, fontaine calme, amère aux seuls amants
De leur damnation, ô vous toute lumière
Sauf aux yeux dont un lourd baiser tient la paupière ! »
Paul Verlaine (1844-1896), « Mon Dieu m'a dit », Sagesse (1893)

Samuel est l’une des grandes figures charnières de l’Ancien Testament. Fils d’Anne et d’Elqana, il naît après une longue stérilité, comme un enfant donné par Dieu en réponse à la prière de sa mère (1 S 1). Anne l’offre alors au service de YHWH au sanctuaire de Silo : Samuel grandit auprès de l’arche de Dieu, sous la garde du prêtre Éli.
Dans la Bible et chez les exégètes, Samuel est à la fois :
Les livres de Samuel le présentent comme celui qui fait le passage entre la période des Juges et la royauté : il oint Saül, puis David, devenant ainsi le prophète qui discerne et consacre les premiers rois d’Israël. Sa vocation racontée en 1 S 3, lue ici dans La Bible en ses Traditions, est donc bien plus qu’une jolie scène d’enfant (même si elle l'est aussi!) : c’est l’acte de naissance d’un prophète fondateur, et la raison de sa légitimité.
Parce que si Samuel est encore inexpérimenté dans la relation à Dieu, l'insistance divine montre que Dieu persévère quand nous tardons à répondre. Le texte le dit explicitement :
« Samuel ne connaissait pas encore YHWH et la parole de YHWH ne lui avait pas encore été révélée. » (1 S 3,7)
Il entend très bien la voix, mais il ne sait pas encore la reconnaître comme voix de Dieu : il la prend pour celle d’Éli. Les trois appels montrent donc :
C’est Éli, figure expérimentée, qui l’aide à interpréter ce qu’il vit et à poser enfin la bonne réponse : « Parle, YHWH, ton serviteur écoute ».
L’insistance de Dieu met ainsi en scène ce double mouvement : un Dieu qui ne se lasse pas d’appeler, et un enfant qui apprend à connaître Dieu peu à peu.
Cette parole n’est pas juste belle : c’est la réponse-type du prophète. Elle signifie que Samuel accepte de se tenir :
La “prière biblique authentique”, c’est ça : une prière qui ne consiste pas d’abord à remplir Dieu de nos mots, mais à laisser sa parole nous façonner. Chez Samuel, cette phrase marque l’entrée dans sa vocation prophétique. Car à présent, « YHWH était avec lui et il ne laissa tomber à terre aucune de ses paroles. » (1 S 3,19)
Autrement dit : celui qui dit “Parle, ton serviteur écoute” devient prophète, c’est-à-dire porteur de la Parole – il l’écoute pour ensuite la transmettre fidèlement au peuple et aux rois.