D'où viennent les symboles des quatre évangélistes ?

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Pourquoi les évangélistes sont-ils couramment représentés avec des animaux symboliques ? D’où vient cette tradition qui les rattache respectivement à un ange, un lion, un taureau et un aigle ?

3 minutes et 44 secondes avec Irénée de Lyon, Jérôme de Stridon, Rubens et Grégoire le Grand
Dernière mise à jour -  
24/11/2023

Pour se mettre dans l’ambiance de l’Apocalypse

En juillet 2023, les deux DJ italiens qui composent le groupe Agents of Time dévoilent un délicieux morceau de house techno : Apocalypse. 

En bon PRIXM que nous sommes, nous ne sommes pas passés à côté, et voici l’occasion rêvée d’ouvrir un numéro sur des notes bien percutantes. Car le dernier livre de la Bible s’appelle justement « Livre de l’Apocalypse ». On vous propose d’en découvrir un passage aujourd’hui.

Le texte biblique d’où proviennent les symboles des quatre évangélistes

Le court passage qui suit est un extrait du Livre de l’Apocalypse. Il s’agit d’une vision symbolique.

Après cela je vis et voici, une porte était ouverte dans le ciel et la première voix que j’avais entendue, comme celle d’une trompette qui me parlait, dit :
— Monte ici et je te montrerai ce qui doit arriver après cela !

Et aussitôt je fus ravi en esprit. Et voici, un trône était dressé dans le ciel et sur ce trône un Siégeant. Il était semblable à un aspect de pierre de jaspe [pierre rouge] et de sardoine [pierre précieuse rouge-brune] ; il y avait un arc-en-ciel autour du trône semblable à une apparition d’émeraude.

Autour du trône étaient vingt-quatre trônes et sur ces trônes vingt-quatre vieillards assis, revêtus de vêtements blancs et sur leurs têtes des couronnes d’or. Du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres et sept lampes ardentes brûlent devant le trône : ce sont les sept esprits de Dieu.

En face du trône il y a comme une mer de verre semblable à du cristal et au milieu du trône et autour du trône, quatre animaux remplis d’yeux devant et derrière.

Le premier animal ressemble à un lion

le second à un jeune taureau

le troisième a comme la face d’un homme

et le quatrième ressemble à un aigle qui vole.

Ces quatre animaux ont chacun six ailes. Ils sont couverts d’yeux tout à l’entour et au dedans et ils ne cessent jour et nuit de dire :
— Saint, saint, saint est le Seigneur, le Dieu Tout-Puissant qui était, qui est et qui vient !

Livre de l’Apocalypse, chapitre 4, versets 1 à 8. Traduit du grec par les équipes du programmes de recherches La Bible en ses Traditions.

Pourquoi les évangélistes sont-ils souvent représentés avec des animaux symboliques ?

Artiste inconnu, Commentaire sur l'Apocalypse (vers 960, enluminure sur parchemin dit Beatus Morgan, 28 x 38 cm), Morgan Library and Museum, New York (États-Unis). Domaine public. En haut du parchemin, entourés des 12 apôtres, on reconnaît nos 4 animaux symboliques.

Une vision apocalyptique

Le passage que vous venez de lire est une vision apocalyptique. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il s’agit d’une vision d’horreur de type catastrophe et fin du monde dans le chaos.

  • Au sens étymologique, le mot grec « apocalypsis » signifie « dévoilement » ou « découverte ». 
  • Au sens biblique du terme, une apocalypse est une révélation des réalités célestes, liées à la fin des temps (on appelle ça « l'eschatologie »). Cette révélation est donnée par Dieu à un homme, souvent à travers une vision symbolique et fantastique — d’où les dragons, les flammes de feu et autres références imagées.

En fait, dans la Bible, le genre littéraire « apocalyptique » est un peu le pendant qui va de pair avec le genre « prophétique ». Pour faire simple :

  • Tandis que la prophétie relève de la communication directe, (et généralement orale) d'un inspiré par Dieu s’adressant à ses contemporains ;
  • la littérature apocalyptique, elle, relève davantage de l'Écriture et du texte.

Au passage, notons que certains livres prophétiques contiennent des visions… par exemple le chapitre 1 du Livre d’Ézéchiel (Ez 1, 1-15), dont s’inspire probablement l’auteur de l’Apocalypse — mais ça, on en reparlera dans un numéro dédié.

Mattia Preti (1613-1699), Les quatre évangélistes (1650, huile sur toile, 153 x 207 cm), Palais Abatellis, Palerme (Italie). Domaine public.

Quatre animaux symboliques

« et au milieu du trône et autour du trône, quatre animaux. [...]
Le premier animal ressemble à un lion
le second à un jeune taureau
le troisième a comme la face d’un homme
et le quatrième ressemble à un aigle qui vole. » (Ap 4,6-8)

Les trois petits versets ci-dessus (Ap 4, 6-8) ont connu une grande postérité dans la tradition chrétienne. En effet, les Pères de l’Église ont vu dans ces quatre vivants l’image des quatre évangélistes.

Petit détail : certaines traductions parlent de « quatre animaux », mais il s’agit surtout de « quatre vivants ». En effet, dans la version grecque de l'évangile, le terme utilisé est zoa ; qui est le pluriel de zoov et qui signifie littéralement « être vivant » (*et oui, c’est de là que vient le mot zoologique).

Historiquement, l'interprétation qui fait de ces quatre vivants le symbole des quatre évangéliste, apparaît dès les premiers siècles, sous la plume de saint Irénée de Lyon (ca. 140-200). Il est ainsi le premier à parler de « l’évangile tétramorphe » — c’est-à-dire évangile à « quatre formes » (en grec, le préfixe tétra signifie « 4 » et le terme morphè signifie « forme ») en référence aux quatre évangiles canoniques : Matthieu, Marc, Luc et Jean.

Pour l’anecdote, la boucle est bouclée puisque la symbolique des quatre animaux trône fièrement sur le fronton de la basilique de Notre-Dame-de-Fourvière à Lyon, ville où fut évêque un certain… Irénée !

Fronton de la Basilique Notre-Dame de Fourvière à Lyon, construite au XIXème siècle, représentant les quatre vivants, symboles des quatre évangélistes. De gauche à droite : l'ange, le lion, le taureau et l'aigle. Photographie de 2017. Domaine public.

Joyeux casting : un aigle, un taureau, un homme et un lion

L’attribution de chaque figure animale à l’un des évangélistes n’a pas d’emblée été unanime. C’est seulement après saint Jérôme (ca. 347-420) qu’une certaine identification est retenue. Elle devient alors une tradition, et chaque animal devient le symbole caractéristique de l’un des évangélistes.

  • L’homme (ou l’ange) est le symbole de l’évangéliste Matthieu
  • Le lion est le symbole de l’évangéliste Marc
  • Le taureau est le symbole de l’évangéliste Luc
  • L’aigle est le symbole de l’évangéliste Jean

Dans la préface de son Commentaire sur l’évangile de Matthieu*, saint Jérôme justifie son interprétation à partir des premiers versets qui ouvrent chaque évangile :

  • « La première face, celle d’un homme, désigne Matthieu qui, dans son début, semble écrire l’histoire d’un homme (Mt 1, 1-16) ; 
  • la face du lion désigne Marc, qui fait entendre la voix du lion rugissante dans le désert » (Mc 1,3) ; 
  • la troisième face, celle du jeune taureau, préfigure l’évangéliste Luc qui commence son récit avec le prêtre Zacharie (Lc 1, 1-25) ; 
  • la quatrième, celle de Jean l’évangéliste qui prend des aigles pour s’élancer plus haut encore et traiter du Verbe de Dieu (Jn 1, 1-14) »

*Saint Jérôme : Commentaire sur Matthieu, (SC 242, 259), Paris : Cerf, 1977-1979.

Artiste inconnu, détail du portail de la cathédrale Saint-Trophime à Arles, construite au XIIème siècle. Le Christ siège au centre, entouré de quatre curieux animaux ailés. Photographie de 2007. Domaine public.

Quelques précisions sur l’interprétation traditionnelle

Avouons-le, l’explication de saint Jérôme est un peu rapide. On est donc ravi de vous partager cette page écrite par l’Académicienne Florence Delay, revenant justement sur la symbolique des quatre animaux attribués aux quatre évangélistes.

Son explication est plus étoffée, et rend mieux compte de l’interprétation qui a prévalu pour attribuer à chaque figure son évangile :

« Que l’aigle soit Jean est le plus évident : c’est l’oiseau qui vole le plus haut et son évangile est le sommet de la doctrine.

Un visage d’homme — homme ailé — est associé à Matthieu parce que son évangile commence par une généalogie (Mt 1, 1-16)

Le lion est associé à Marc parce qu’il se réfère en commençant à ces versets du prophète Isaïe « J’envoie un messager en éclaireur pour qu’il prépare ton chemin. Sa voix crie dans le désert : ‘préparez le chemin du Seigneur. Rendez droits ses sentiers.’ » (Mc 1,3) et que le désert rappelle le lion. Marc est le plus dur envers les défaillances humaines des apôtres dont il fait partie.

Un jeune taureau est associé à Luc par une suite de déductions hardies que l’on peut résumer ainsi : puisque son récit commence par une naissance improbable, donc miraculeuse, du Jean-Baptiste engendré par un très vieux couple, que le père, Zacharie, de par ses fonctions sacerdotales, présidait aux sacrifices, et que le sacrifice le plus prisé par la Torah était celui d’un taurillon, Luc est devenu taureau. Mais je l’ai vu aussi bien évoqué par un bœuf ailé, sur la mosaïque absidale de la basilique San Clemente, par exemple. Les bœufs aussi étaient bons pour l’holocauste. »

Florence Delay, Il n’y a pas de cheval sur le chemin de Damas, Paris, Seuil, 2022, p. 60-61

Maintenant, vous avez toutes les cartes en mains pour décrypter les tableaux et les sculptures représentant les quatre évangélistes avec leurs mascottes respectives. Et les curieux détails du chef-d'œuvre de Rubens ci-dessous ne sont plus désormais une énigme insoluble pour vous… 

Mais aviez vous également remarqué les quatre animaux glissés dans le tableau de Mattia Preti un peu plus haut ?

Pierre Paul Rubens (1577-1640), Les quatre évangélistes (1614, huile sur toile, 224 x 270 cm), Galerie de Sanssouci, Potsdam (Allemagne). Domaine public.

Le mot de la fin

Pour conclure, nous vous partageons l’interprétation du pape saint Grégoire le Grand (ca. 540-604). Selon lui, ces quatre animaux de l’Apocalypse peuvent non seulement s’interpréter comme l’image des quatre évangélistes, mais aussi comme l’image du Christ.

« Ces quatre animaux peuvent signifier le chef dont ils sont les membres.

En effet, il est un homme, puisqu’il a vraiment pris notre nature ;

il est aussi un jeune taureau, puisqu’il est mort avec patience pour nous ;

et un lion, parce qu’il a rompu, par la puissance de sa dignité, les liens de la mort qu’il avait subie ;

et enfin il est un aigle, parce qu’il est retourné au ciel d’où il était venu.

Sa naissance le fait donc appeler homme ; sa mort, jeune taureau ; sa résurrection, lion ; son ascension dans les cieux, aigle. »

Grégoire le Grand : Morales sur Job, 6 (SC 32 bis, 212, 221, 476, 525, 538), Paris : Cerf, 1975-2010 ; éd. et trad. Aristide Bocognano, André de Gaudemaris

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