De Noé à Lot : la destruction par l’eau puis par le feu

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Quel est le lien entre Noé et Lot ? En quoi peut-on établir un parallèle entre l’épisode du déluge et l’épisode de la destruction de Sodome et Gomorrhe ?

4 minutes et 16 secondes avec Camille Saint-Saëns, William Turner, Michel-Ange et Romain Gary
Dernière mise à jour -  
22/9/2023

Une entrée en musique pour évoquer le Déluge

Célèbre et merveilleux compositeur français, Camille Saint-Saëns (1835-1921) ouvre en douceur et en mélodie le numéro d’aujourd’hui avec son oratorio de 1875 intitulé Le Déluge. Et de quoi s’agit-il ? Tout bonnement d’une mise en musique du récit du Déluge (alias la fameuse histoire de « l’arche de Noé »), dans le Livre de la Genèse.

Le but de notre éclairage ? Vous faire comprendre le lien entre le Déluge et la destruction de Sodome et Gomorrhe, c’est-à-dire entre deux récits bibliques de la Genèse, à 10 chapitres d’écart.

Pourquoi les villes de Sodome et Gomorrhe sont-elles rayées de la carte ?

Le texte biblique qui raconte la destruction de Sodome et Gomorrhe

Le texte que nous vous proposons est un passage du Livre de la Genèse. Il raconte la destruction des villes de Sodome et Gomorrhe. Cette scène se déroule juste après la négociation entre Abraham et Dieu (Gn 18, 16-33), puis l’attaque et le projet de viol des habitants de Sodome sur les envoyés de Dieu (Gn 19, 1-14).

[Les hommes de Sodome, des adolescents jusqu’aux vieillards, tout le peuple jusqu'au dernier] repoussaient avec violence Lot et s’avancèrent pour briser la porte. Et voici que les hommes étendirent les mains et firent rentrer Lot vers eux dans la maison et fermèrent la porte. Et ils frappèrent de cécité les hommes qui étaient à l’entrée de la maison, du plus petit jusqu’au plus grand et ceux-ci se fatiguèrent inutilement à chercher la porte d'entrée.

Et les hommes dirent à Lot :
Qui as-tu encore ici ? Gendres, fils et filles et qui que ce soit que tu aies en ville, fais-les sortir de cet endroit. Car nous allons détruire ce lieu car grand est le cri [contre] eux devant YHWH, et YHWH nous a envoyés pour le détruire.

Lot sortit et parla à ses gendres, qui avaient pris ses filles, et dit :
— Levez-vous, leur dit-il, sortez de ce lieu car YHWH va détruire la cité.

Mais aux yeux de ses gendres il parut plaisanter.

Dès le point du jour, les anges pressèrent Lot, disant :
— Lève-toi, prends ta femme et tes deux filles qui sont ici afin que tu ne périsses pas dans le châtiment de la cité.

Comme il tardait, ces hommes les attrapèrent par les mains, lui, et sa femme et ses deux filles car YHWH voulait l’épargner, ils l’emmenèrent et le mirent hors la ville. Lorsqu’ils les eurent fait sortir dehors, voici qu'ils dirent :
— Vraiment, sauve ton âme ! Ne regarde pas derrière toi et ne t’arrête nulle part dans la plaine. Sauve-toi vers la montagne, de peur d’être balayé. [...]

Le soleil se leva sur la terre et Lot entra à Çoar. Alors, YHWH fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu d’auprès de Lui, du ciel. Il détruisit ces villes et toute la plaine et tous les habitants des villes et les plantes de la terre. La femme de Lot regarda en arrière et devint une colonne de sel.

Abraham se leva de bon matin et se rendit là où il s’était tenu à la face de YHWH. Il regarda vers Sodome et Gomorrhe et tout le territoire de la plaine et voici que montait la fumée de la terre comme fumée de fournaise. Lorsque Dieu détruisit les villes de la plaine, il se rappela Abraham et fit échapper Lot à la dévastation lorsqu’il dévasta les villes où Lot habitait.

Livre de la Genèse, chapitre 19, versets 9 à 17 puis 23 à 27. Traduit de l’hébreu par les équipes du programme de recherches La Bible en ses Traditions.

Quel est le rapport entre le Déluge et la destruction de Sodome et Gomorrhe ?

Benjamin West (1738-1820), Lot fuyant Sodome (1810, huile sur toile, dimensions inconnues), Institut des Arts, Détroit (États-Unis). Domaine public.

Petite remise en contexte

Promis, c’est notre dernier numéro sur Sodome et Gomorrhe. Parce que ça fait trois semaines qu'on se penche sur ce thème, et vous avez désormais de quoi devenir de quasi-spécialistes. Mais si vous avez raté le coche, on vous renvoie à :

Ceci étant dit, reprenons notre éclairage. Nous suivons aujourd'hui cette question : en quoi le récit de la destruction de Sodome et Gomorrhe fait-il écho au récit du déluge et de l’arche de Noé ? Parce que oui, il y a un parallèle fondamental à noter entre l’un et l’autre récits !

Thomas Cole (1801-1848), La baisse des eaux du déluge (1829, huile sur toile, 91 x 121 cm), Smithsonian American Art Museum, Washington (États-Unis). Domaine public.

De Noé à Lot, le « mythe » de dé-création et de re-création

En fait, cette décision de Dieu qui, à cause du mal commis par les hommes, s’apprête à détruire sa Création… fait écho au récit du déluge et de l’arche de Noé, quelques chapitres auparavant dans le Livre de la Genèse (du chapitre 6 au chapitre 9).

« Et YHWH vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre et que toutes les réflexions de leur cœur se portaient seulement vers le mal tout le jour. Et YHWH se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre et il fut affligé en son cœur.
Et YHWH dit :
— J’exterminerai de la face de la terre l’homme que j’ai créé, depuis l’homme jusqu’à la bête domestique, jusqu’au reptile et jusqu’à l’oiseau des cieux car je me repens de les avoir faits.
Mais Noé trouva grâce aux yeux de YHWH. Noé était un homme juste, parfait parmi les hommes de son temps : c’est avec Dieu que marchait Noé. » (Gn 6, 5-9)
Michelangelo di Lodovico Buonarroti, dit Michel-Ange (1475-1564), Le Déluge (1508, fresque, 280 x 560 cm), Chapelle Sixtine, Musées du Vatican, Rome (Italie). Domaine public.

Au milieu du mal généralisé, trouver au moins un juste

Plusieurs indices nous mettent justement sur la piste, pour déceler le parallèle entre ces deux récits de « dé-création » (autrement dit de destruction de la création avant de procéder à une re-création) :

Dans les deux cas, le point de départ est le même : le mal et le péché qui habitent le cœur des hommes :

  • Sur toute la face de la terre au temps de Noé : « Et YHWH vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre et que toutes les réflexions de leur cœur se portaient seulement vers le mal tout le jour. » (Gn 6, 5)
  • Sur toute la région de Sodome et Gomorrhe au temps de Lot : « Le cri de Sodome et de Gomorrhe a grandi et leur péché est très grave » (Gn 18, 20)

Dans les deux cas, il est question pour Dieu de trouver au moins un homme « juste » à épargner et avec qui re-Créer :

  • À la veille du Déluge, c’est ainsi qu’est présenté Noé : « Mais Noé trouva grâce aux yeux de YHWH. Noé était un homme juste » (Gn 6, 8-9)
  • À la veille de la destruction de Sodome et Gomorrhe, Abraham négocie avec Dieu pour ne pas avoir à trouver 50 justes pour épargner la ville, mais simplement 10. Dieu ne les trouvera pas. Le vrai juste de l’histoire, c’est Abraham, comme le texte le précise quelques chapitres plus tôt : « Abram eut foi en YHWH et YHWH estima qu’il était juste. » (Gn 15,6)
Giovanni Benedetto Castiglione (1609-1664), Noé et les animaux devant l'arche (1650, huile sur toile, 94 x 126 cm), Kunsthistorisches Museum, Vienne (Autriche). Domaine public.

En famille, échapper aux flots ou au feu

Dans l’un et l’autre récits, les protagonistes sont invités à sauver les membres de leur famille :

  • Dieu demande à Noé de monter à bord de son arche en emmenant avec lui sa proche famille « Et je relèverai mon alliance avec toi et tu entreras dans l’arche, toi et tes fils, ta femme et les femmes de tes fils avec toi. » (Gn 6, 18)
  • De même, Dieu demande à Lot de quitter la région de Sodome et Gomorrhe en emmenant avec les siens lui : « Dès le point du jour, les anges pressèrent Lot, disant : “Lève-toi, prends ta femme et tes deux filles qui sont ici afin que tu ne périsses pas dans le châtiment de la cité”. » (Gn 19, 15)

Les deux récits s’inspirent des mythes de l’époque retraçant le mode « re-start » du dieu créateur face à sa création qui part en vrille :

  • Au temps de Noé, la destruction passe par l’eau : c’est le déluge sur toute la terre (Gn 7, 1-24).
  • Au temps de Lot, la destruction passe par le feu : c’est l’embrasement de Sodome et Gomorrhe (Gn 19, 23-29).
Joseph Mallord William Turner (1775-1851), Incendie sur la Mer (1835, huile sur toile, 172 x 221 cm), Tate Britain, Londres (Royaume-Uni). Domaine public.

L'indice ultime

Besoin d’un dernier indice encore pour justifier le parallèle entre le Déluge et la destruction de Sodome et Gomorrhe ? Allez, voici un dernier petit détail pour la route !

Dans l’un et l’autre cas, le texte précise que Dieu (par lui-même ou l’intermédiaire de ses anges) « ferme la porte ». Pour le lecteur averti, il s’agit de comprendre que la maison de Lot figure symboliquement « la nouvelle arche de Noé » :

  • Dieu ferme la porte de l’arche de Noé juste avant d’envoyer les eaux du Déluge : « Et ils venaient mâle et femelle de toute chair. Ils pénétrèrent comme l’avait ordonné Dieu à Noé. Et YHWH referma [la porte] derrière lui. » (Gn 7, 16)
  • Les anges de Dieu ferment la porte derrière Lot au moment où celui-ci est assailli par les habitants de Sodome qui cherchent à violenter ses hôtes : « Et voici que les hommes étendirent les mains et firent rentrer Lot vers eux dans la maison et fermèrent la porte. » (Gn 19, 10)
Hans Baldung (1484-1545), Le Déluge (1516, huile sur panneau, dimensions inconnues), Galerie d'État de la Nouvelle résidence, Bamberg (Allemagne). Domaine public.

Aux bons souvenirs de Dieu

Le parallèle que nous avons mis en lumière nous amène à cette question finale : pourquoi les récits bibliques répètent-ils le même schéma  ?

Pour alerter le lecteur sur le mal qui guette l’humanité ? Peut-être. En fait, la destruction de Sodome et Gomorrhe n’est pas un simple revival du Déluge. Et pour cause : le parallèle entre le Déluge et la destruction de Sodome et Gomorrhe n’est pas un parallèle total entre Noé et Lot. Car, comme on l’expliquait plus haut, ce n’est pas Lot mais bien Abraham qui fait figure de « juste ». Si Lot est sauvé, c’est d’abord grâce à l’intercession et l’action d’Abraham.

  • De même que Dieu se souvient de Noé et permet à sa famille d’échapper au Déluge : « Et Dieu se souvint de Noé, de tout animal et de toute bête domestique qui étaient avec lui dans l’arche. Et Dieu fit passer un vent sur la terre et les eaux se calmèrent. » (Gn 8, 1)
  • de même, Dieu se souvient d’Abraham et permet à sa famille d’échapper à la destruction de Sodome et Gomorrhe : « Lorsque Dieu détruisit les villes de la plaine, il se rappela Abraham et fit échapper Lot à la dévastation lorsqu’il dévasta les villes où Lot habitait. » (Gn 19, 29)

Finalement, l'épisode de la destruction de Sodome et Gomorrhe (tout comme l'épisode du Déluge) n'a pas pour but de retracer un événement historique, mais entend offrir un modèle théologique. Reprenant les mythes de l'époque, les deux récits présentent des versions imagées pour montrer comment Dieu détruit tout POUR recommencer.

Enfin, le parallèle avec le Déluge permet d'offrir une clé de lecture supplémentaire, en insistant sur l'importance d'Abraham, homme juste devant Dieu. Son intercession, sa prière et son action permettent à Lot et sa famille d'échapper à ce « déluge »... en version enflammée.

John Martin (1789-1854), La destruction de Sodome et Gomorrhe (1852, huile sur toile, 136 x 212 cm), Laing Art Gallery, Newcastle (Angleterre). Domaine public.


Un immense merci à Marie qui, par ses travaux et son amitié, a largement inspiré cet éclairage exceptionnel !

Le mot de la fin

Les récits parallèles de Noé et d'Abraham mettent en lumière la figure du « juste ». En conclusion de notre numéro, nous vous proposons ce petit extrait du roman La vie devant soi de Romain Gary. Momo, le narrateur alors âgé d’à peine quatorze ans, nous offre une singulière méditation sur le sens de l’expression « le sommeil du juste ».

« Quand elle a remonté, elle n’avait plus peur et moi non plus, parce que c’est contagieux. On a dormi à côté du sommeil du juste. Moi j’ai beaucoup réfléchi là-dessus et je crois que Monsieur Hamil a tort quand il dit ça. Je crois que c’est les injustes qui dorment le mieux, parce qu’ils s’en foutent, alors que les justes ne peuvent pas fermer l’œil et se font du mauvais sang pour tout. Autrement ils seraient pas justes. »

Emile Ajar (Romain Gary), La vie devant soi, Paris, Mercure de France, 1975, p. 39

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