L'histoire du Déluge et de l'arche de Noé nous dit-elle quelque chose de scientifiquement valable ? Comment interpréter ce récit ? Quel est le rapport entre la Bible et l'histoire réelle ?
Ricky Gervais, humoriste anglais, athée très fameux et irrévérencieux, a fait de nombreux sketchs sur les textes bibliques.
Bien qu’on les trouve de mauvaise foi, quelque peu irrespectueux, on rigole souvent et on y trouve parfois quelques interprétations intéressantes du texte biblique – et, sympa, on essaye d’oublier le nombre d’erreurs objectives qu’il fait au passage.
L’un de ses sketchs les plus célèbres porte sur le déluge dont nous vous parlons aujourd’hui. Mais on est tombé sur cet échange TV avec Stephen Colbert – surréaliste pour un Français – sur The Late Show qui intéressera sûrement tous les anglophones parmi vous.
Noé est un descendant d’Adam et Ève, neuf générations après. Mais entre Adam et Noé, « la terre s'est remplie de violence » (Genèse 6, 11) et YHWH décide alors d’envoyer un déluge.
YHWH vit que la méchanceté de l'homme était grande sur la terre et que tous les desseins de leur cœur se portaient seulement vers le mal tout le jour.
YHWH se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre et il fut affligé en son cœur.
Et YHWH dit : « J’exterminerai de la surface de la terre l’homme que j’ai créé, depuis l’homme jusqu'à la bête domestique, jusqu'au reptile et jusqu'à l'oiseau des cieux car je me repens de les avoir faits. »
Mais Noé trouva grâce aux yeux de YHWH. […]
C'est avec Dieu que marchait Noé. […]
Alors Dieu dit à Noé : « La fin de toute chair est venue devant moi, car la terre est pleine de violence à cause d’eux ; je vais les détruire, avec la terre. […]
Tout ce qui est sur la terre périra.
Et j'établirai mon alliance avec toi et tu entreras dans l’arche, toi et tes fils, ta femme et les femmes de tes fils avec toi.
De tout ce qui vit, de toute chair, tu feras entrer dans l’arche deux de chaque espèce, pour les conserver en vie avec toi ; ce sera un mâle et une femelle. […]
Et ainsi fit-il. Noé fit selon tout ce que Dieu lui avait ordonné.
Ce texte n'a pas de prétention historique au sens où nous comprenons le terme historique dans notre culture. Non, l’Écriture ne fait pas ici un récit historique comme certains historiens racontent la bataille de Verdun.
Ce texte reflète une tradition culturelle qui véhicule des conceptions philosophiques et théologiques sous la forme d'une histoire, d'un mythe. Grâce à de très anciens manuscrits, on sait que la tradition du déluge existait dans le tout le Proche-Orient ancien : c’est le cas, par exemple, des tablettes écrites en caractères cunéiformes qui racontent l’épopée babylonienne de Gilgamesh.
« YHWH vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre » (Gn 6,5)
Accessoirement, l’événement du déluge a largement marqué notre vocabulaire... puisque vous n’hésitez pas, dès qu’il pleut un peu, à dire : « oh là là, c’est le déluge ».
Déjà, répondons à la question, c’est quoi ces tablettes de l'épopée babylonienne de Gilgamesh ?
Ces tablettes, découvertes au 19ᵉ siècle, sont en argile. Rédigées en akkadien (une très vieille langue que certains frères de l’École Biblique de Jérusalem déchiffrent encore, true story), elles forment l'une des plus vieilles œuvres littéraires de l'humanité que nous connaissions aujourd’hui.
Or, ces tablettes contiennent un récit du déluge, que les auteurs bibliques connaissent très certainement, puisque les points communs sont nombreux :
Si le lecteur contemporain peut être choqué par la violence du texte biblique, on peut faire l’hypothèse que ce n’est pas le cas du lecteur antique. Pourquoi ? Car ces traditions du déluge traversent les cultures antiques et forment une espèce de lieu commun.
Comme nous le disions tout à l’heure, il ne s’agit pas pour la Bible de présenter un événement historique ou un Dieu méchant. Mais bien de reprendre un motif bien connu de ses lecteurs pour donner une perspective originale.
Parfois, on peut prendre les textes bibliques tels quels et être saisi par leurs violences, par un aspect apparemment primaire. Il n’en est rien. Les textes bibliques ne sont pas des petits mythes de tribus arriérées véhiculant l’image d’un Dieu dont elles auraient une conception dépassée. Ce sont des textes riches, denses qui méritent tout notre intérêt.
Si parfois, nous sommes pris de ce sentiment (ce texte est vraiment archaïque ou insupportable), c’est certainement qu’il nous manque des clés pour les éclairer. Il faut simplement patienter avant de les obtenir pour entendre ce que cette Parole a à nous dire. Une des clés pour bien lire ce récit biblique du Déluge, c'est de connaître ces tablettes en argile.
Un tel motif littéraire n’a pas manqué de fasciner les peintres et les auteurs. Victor Hugo dépeint ainsi le tableau difficile du Déluge. En lisant le dernier vers du poème qui suit, gardons en tête le tableau de Baldung ci-dessus, on comprendra pourquoi.
« Tout avait disparu. L’onde montait sur l’onde.
Dieu lisait dans son livre et tout était détruit.
Dans le ciel par moments on entendait le bruit
Que font en se tournant les pages d’un registre.
L’abîme seul savait, dans sa brume sinistre,
Ce qu’étaient devenus l’homme, les voix, les monts. [...]
On avait quelque temps distingué des maisons,
Des villes, des palais difformes, des fantômes
De temples dont les flots faisaient trembler les dômes ;
Puis l’angle des frontons et la blancheur des fûts
S’étaient mêlés au fond de l’onde aux plis confus ;
Tout s’était effacé dans l’horreur de l’eau sombre.
Le gouffre d’eau montait sous une voûte d’ombre ;
Par moments, sous la grêle, au loin, on pouvait voir
Sur le blême horizon passer un coffre noir ;
On eût dit qu’un cercueil flottait dans cette tombe. »
Victor Hugo, « La Première page », La Fin de Satan, J. Hetzel & G-A. Quantin, Paris, 1886
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