Jonas : un prophète fuyard et désobéissant ?

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Pourquoi Dieu envoie-t-il Jonas à Ninive ? Quelle est la mission de Jonas ? Pourquoi Jonas s’enfuit-il et prend-il le bateau ? De quoi la ville de Ninive est-elle le symbole ?

3 minutes et 57 secondes
Dernière mise à jour -  
2/5/2024

De Pinocchio à Jonas : un humain avalé par une baleine


Aujourd’hui, c’est Pinocchio ! Dans ce conte, Pinocchio rencontre Monstro (un énorme monstre marin) qui l’avale aussitôt ! Selon les versions, il s’agit d’une baleine, d’un gros poisson voire même d’un requin… Et surprise ! Il retrouve son père dans l’antre de l’animal. 

On vous propose de replonger en enfance avec cet extrait vidéo, en compagnie de Jiminy Cricket et Geppetto ! Car cette histoire de baleine ou de monstre marin qui avale un humain… c’est complètement biblique ! Eh oui, la Bible a inspiré Carlo Collodi, l’auteur italien de Pinocchio !

Aujourd’hui, cap sur le Livre de Jonas... à bâbord toute !

Le texte biblique qui raconte la fuite de Jonas qui refuse d’aller à Ninive

Le Livre de Jonas se lit d’une traite. C’est une histoire pleine de rebondissements. Nous n’avons pas résisté à vous mettre ici tout le premier chapitre. Allez, on vous embarque !

La parole de YHWH fut adressée à Jonas, fils d’Amittaï, disant :
— Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et crie contre elle, car leur méchanceté est montée jusqu’à moi.

Jonas se leva pour s’enfuir à Tarsis, loin de la face YHWH. Il descendit à Jaffa et trouva un vaisseau qui allait à Tarsis. Il paya son passage et y embarqua pour aller avec eux à Tarsis, loin de la face YHWH. 

Alors YHWH fit souffler un grand vent vers la mer, et il y eut une grande tempête en mer, et le bateau menaçait de se briser. Et les marins eurent peur. Ils crièrent chacun vers son dieu, et ils jetèrent à la mer les objets qui étaient dans le bateau pour s’en délester. 

Quant à Jonas, il descendit dans la cale du navire, il se coucha et il tomba dans un profond sommeil. Le chef de l’équipage s’approcha de lui et lui dit:
— Qu’as-tu à dormir ainsi ? Lève-toi, crie vers ton Dieu ! Peut-être ce dieu pensera-t-il à nous, et nous ne périrons pas.

Ils se dirent les uns aux autres : 
— Venez, tirons au sort, et nous saurons à cause de qui nous vient ce mal. 

Ils tirèrent au sort et le sort tomba sur Jonas. 

Alors ils lui dirent : 
— Raconte-nous donc à cause de qui nous vient ce mal. Quel est ton travail et d’où viens-tu ? Quel est ton pays et de quel peuple es-tu ? 

Il leur répondit : 
— Je suis Hébreu, et c’est YHWH, le Dieu du ciel, que je crains, qui a fait la mer et la terre sèche. 

Les hommes furent saisis d’une très grande crainte, et ils lui dirent :
— Qu’as-tu fait là ?

Oui, les hommes savaient qu’il s’enfuyait loin de la face de YHWH, car il le leur avait raconté. Et ils lui dirent :
— Que te ferons-nous pour que s’apaise la mer qui est contre nous ?

En effet, la mer se déchaînait de plus en plus. Et il leur répondit: 
— Portez-moi et jetez-moi à la mer, et la mer s’apaisera pour vous. Car moi, je sais que c’est à cause de moi que cette grande tempête est contre vous.

Les hommes ramèrent pour revenir à la terre ferme, et ils ne le purent pas car la mer se déchaînait de plus en plus contre eux. Alors ils crièrent vers YHWH et ils dirent : 
— YHWH, nous t’implorons, que nous ne périssions pas à cause de l’âme de cet homme et ne mets pas sur nous un sang innocent, car c’est toi, YHWH, qui as agi comme il t’a plu. 

Et prenant Jonas, ils le jetèrent à la mer, et la mer calma sa fureur. Et les hommes furent saisis d’une grande crainte de YHWH, ils offrirent un sacrifice à YHWH et firent des vœux.

Livre de Jonas, chapitre 1 versets 1 à 16. Traduit de l'hébreu par les équipes du programme de recherches La Bible en ses Traditions.

Pourquoi Jonas refuse-t-il d’aller à Ninive ?

Michelangelo di Lodovico Buonarroti Simoni, dit Michel-Ange (1475-1564), Le prophète Jonas (1508, fresque, 400 x 380 cm), chapelle Sixtine, Vatican. Domaine public.

Il était une fois Jonas… 

Aujourd’hui, découvrons un livre biblique qui s'étend sur 4 petits chapitres et qui raconte les aventures d’un prophète râleur, têtu et désobéissant : Jonas ! 

Vous connaissez peut-être vaguement son histoire... Jonas, c'est le fameux personnage qui finit dans le ventre d’un poisson (*on y reviendra en détail la semaine prochaine) !

Avant d'entrer dans le vif de l’analyse, disons un mot sur le genre littéraire de ce petit livre. Il s’agit à la fois : 

  • d’un livre prophétique : comme Jonas est un prophète, le Livre de Jonas est rangé parmi les autres livres des prophètes (la Bible est une bibliothèque, souvenez-vous !) 
  • et d'un conte sapientiel et satirique : autrement dit, il s'agit d'un récit de sagesse qui n'est pas dénué d'humour et qui enseigne le lecteur de façon didactique, par des images subversives et étonnantes.

Bref ! Le Livre de Jonas est à la croisée de plusieurs genres littéraires. Et on commence tout de suite par une étude du voyage de Jonas !

Pieter Lastman (1583-1633), Jonas et la baleine (1621, huile sur toile, 36 x 52 cm), Musée Kunstpalast, Düsseldorf (Allemagne). Domaine public.

Jonas, petit prophète qui fait l’autruche

Au sein du « corpus biblique », Jonas fait partie de ce qu’on appelle « les douze petits prophètes ». On les nomme ainsi en opposition avec « les grands prophètes » (Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, Daniel), dont les livres sont tout simplement… plus longs ! 

Au sens biblique, un « prophète » est un homme inspiré qui parle au nom de Dieu. Le prophète est donc le porte-parole de Dieu. 

En ce sens, l’histoire de Jonas est extrêmement ironique ! Car Jonas fait tout pour ne pas obéir à Dieu ! Il est appelé par Dieu dès le premier verset du livre, pour se lever et aller à Ninive délivrer son message : 

« Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et crie contre elle, car leur méchanceté est montée jusqu’à moi. » (Jon 1, 2)

Mais il « se lève »... pour se carapater et descendre prendre un bateau, direction Tarsis depuis Jaffa (au sud de l’actuelle ville de Tel-Aviv). Bref, au lieu de répondre à la mission de Dieu pour lui, il s'enfuit !

Petite carte du voyage de Jonas, réalisée par Sr Marie-Reine depuis Jérusalem pour le programme de La Bible en ses Traditions. Vous pouvez observer l’itinéraire de Jonas et constater l’immense détour qu’il effectue pour ne pas aller à Ninive !

Pourquoi Jonas refuse-t-il d'aller à Ninive ?

Pourquoi Jonas ne veut-il pas aller à Ninive comme Dieu lui demande et préfère-t-il fuir vers Tarsis  ?

  • Ninive n’est pas vraiment « the place to be » pour un Hébreu. Dans le livre de Nahum (un autre petit prophète, placé juste après Jonas dans la bibliothèque), Ninive est décrite comme « la ville sanguinaire, toute de mensonge, pleine de rapines [vols] et qui ne lâche jamais sa proie » (Na 3, 1). Le penseur Jacques Ellul, dans son ouvrage Le Livre de Jonas*, explique qu’un Hébreu en revient rarement en vie, il compare même la mission de Jonas à celle d’un Français chargé d’aller prêcher la repentance à Berlin en 1941 en pleine Seconde Guerre mondiale… 
     
  • Enfin, la ville de Ninive est comparée (par Jacques Ellul toujours), à la ville de Babylone, « Ninive, la grande ville, comme Babylone, c’est le lieu de la toute-puissance de l’homme, c’est la contre-création de l’homme opposée à la création de Dieu ». Bref, à l'image de Babylone, Ninive est une ville corrompue et détournée de Dieu.
     
  • Quant à la ville de Tarsis, (située près des côtes espagnoles), elle symbolise tout simplement le bout du monde pour les Hébreux. Donc parfait comme cachette pour un prophète qui s’enfuit !

Jonas descend vers la mer, comme le montre la carte ci-dessus, réalisée par notre amie Marie-Reine, le voyage de Jonas est une fuite qui le détourne complètement de sa destination !

Grand vainqueur du Tour de France 2023, pour la deuxième fois consécutive après l'avoir gagné aussi en 2022, voici Jonas Vingegaard ! Il porte le même prénom que notre prophète... Mais tandis que le Jonas de la Bible part en bateau, celui-ci file en vélo.

Jonas jeune mousse en pleine tempête

Le but de Jonas était de : « fuir loin de la face de YHWH » (Jon 1,3 ; Jon 1,10). Mais le récit donne une réponse très claire : où qu'on aille, on ne peut fuir « le Dieu du ciel » :

« Alors YHWH fit souffler un grand vent vers la mer, et il y eut une grande tempête en mer, et le bateau menaçait de se briser. » (Jon 1, 4) 

La tempête rugit. Et pourtant Jonas reste inactif et descend une nouvelle fois — cette fois-ci, dans la cale du navire : « il se coucha et il tomba dans un profond sommeil.» (Jon 1, 5). Pourquoi Jonas va-t-il s'endormir au milieu de la tempête alors que tout le monde a peur ? Pourquoi n'a-t-il pas peur lui-même ? 

On peut voir ce sommeil comme un élément ambivalent :

  • ou bien il exprime à quel point Jonas a confiance en Dieu,
  • ou bien il exprime la nouvelle fuite de Jonas, comme s'il cherchait à se cacher dans la soute tandis qu'il reconnaît l'action de Dieu dans cette tempête. 

Si on reprend : Jonas « descend » physiquement selon trois niveaux :

  • il descend d'abord vers Jaffa, 
  • puis il descend dans la cale du bateau, 
  • et enfin il descend sous l'eau lorsqu'il est jeté par-dessus bord ! « Et prenant Jonas, ils le jetèrent à la mer. » (Jon 1, 15).

Par trois fois, il s'écarte délibérément de Dieu, ce qui nous permet de voir en lui la figure d'un anti-prophète : au lieu de s'élever pour transmettre le message de Dieu, il part se cacher sous l'eau !

Bref, l’itinéraire de Jonas est un long périple toujours plus loin loin loin de Dieu, et cet éloignement prend la forme d’une longue descente, toujours plus bas bas bas... jusqu’à toucher le fond ?

Ephraim Moses Lilien (1874-1925), Jonas est jeté à la mer (vers 1920, gravure sur papier, 25 x 38 cm). Localisation inconnue. Domaine public.

La crainte des marins 

Avant de conclure, observons l'attitude des marins dans cet extrait et interrogeons-nous : d'où provient leur crainte subite pour le Dieu de Jonas ?

  • D’abord, les marins tirent au sort pour savoir qui est à l’origine de la tempête. Ceci peut nous paraître étonnant, mais selon les mœurs propres à la sécurité navale dans l’Antiquité, lorsque survient un malheur, la cause du danger provient forcément de la présence d’un coupable sur un navire. Ce tirage au sort pour trouver ce coupable indique surtout que les marins sont païens et superstitieux. 

Et bingo, le sort tombe sur Jonas !

  • Jonas leur avoue qu’il est Hébreu et qu’il fuit Dieu. Soudainement, les marins sont scandalisés de l’attitude de Jonas envers son Dieu : « Les hommes furent saisis d’une très grande crainte, et ils lui dirent : “Qu’as-tu fait là!” » (Jon 1, 10). En fait, ces marins étrangers se montrent soudainement plus pieux que Jonas lui-même !

À ce titre, le texte fait preuve d'une grande ironie ! 

  • Appelé à être prophète, Jonas fuit Dieu, 
  • Et c'est par sa fuite que, malgré lui, il convertit des marins païens et superstitieux ! 

Autrement dit, Jonas ne peut échapper à sa condition de prophète tout comme il ne peut échapper à Dieu ! Il enseigne le Dieu de son peuple, même malgré lui !

Enfin, Jonas propose aux marins de le jeter par-dessus bord : « Prenez-moi, jetez-moi à la mer, pour que la mer se calme autour de vous. » (Jon 1, 12)

C’est encore une fois une habile façon pour Jonas de fuir Dieu. On peut même interpréter cette indication comme le signe suprême de son manque de courage ou de son désespoir : Jonas préfère être envoyé à la mort pour arrêter la tempête, qu’être envoyé comme prophète à Ninive...

Carlo Antonio Tavella (1668-1738), Jonas et la baleine (milieu du XVIIème siècle, huile sur toile, 58 x 84 cm) Musée Royal de Greenwich (Londres). Domaine public.

Le mot de la fin

Pour terminer notre première traversée dans le livre de Jonas, nous vous proposons un voyage poétique ! Le voyage de Jonas nous a fait penser à une œuvre poétique de Charles Baudelaire. Voici la fin du long et magnifique poème « Le voyage », qui clôt le recueil des Fleurs du mal :

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre !

Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !

Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,

Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !

Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?

Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

Charles Baudelaire (1821-1867), « Le voyage » (1859), Les Fleurs du mal (1861), Gallimard, Poésie, 2005, Paris.

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