Scandale dans la Bible : Abraham serait-il un menteur ?

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Le culot improbable d'Abraham qui demande à sa femme Sara de se faire passer pour sa sœur. Que nous dit la Bible sur le mensonge et la moralité ?‍‍

4 minutes et 28 secondes avec le nouvel Abraham de Chelsea, Kant, James Tissot, Augustin d'Hippone et Bernanos.
Dernière mise à jour -  
20/9/2023

Pour le coup, on ne vous ment pas : le nouvel Abraham de Chelsea est une future star du foot

Abraham équipe foot bleu

Le nouvel attaquant star de Chelsea s’appelle tout simplement Abraham Tammy de son prénom. Les médias sportifs, jamais avares en bons mots, n’hésitent pas à dire de lui qu’il est le nouveau « prophète » du club anglais. Sauf qu’Abraham n’est pas d'abord un prophète dans le vocabulaire biblique, mais plutôt un patriarche.

Le texte biblique où la femme d'Abraham, Sara, se présente comme... sa soeur

YHWH choisit Abraham pour conclure une alliance avec lui. Abraham doit pour cela faire confiance et quitter son pays. Abraham s’en va donc vers le désert Néguev, au Sud de l’actuelle Israël et en direction de l’Égypte. Don’t worry si on passe de « Abram » à « Abraham », c’est la même personne.

Il y eut une famine dans le pays, et Abram descendit en Égypte pour y séjourner car la famine était grande dans le pays.

Comme il était près d’entrer en Égypte, il dit à Saraï, sa femme :

— Voici, je sais que tu es une belle femme ; quand les Égyptiens te verront, ils diront : « C’est sa femme », et ils me tueront et te laisseront vivre. Dis donc que tu es ma sœur, afin que je sois bien traité à cause de toi, et qu’on me laisse la vie par égard pour toi.

Lorsque Abram fut arrivé en Égypte, les Égyptiens virent que sa femme était fort belle. Les grands de Pharaon, l’ayant vue, la vantèrent à Pharaon, et cette femme fut prise et emmenée dans la maison de Pharaon. Il traita bien Abram à cause d’elle, et Abram reçut des brebis, des bœufs, des ânes, des serviteurs et des servantes, des ânesses et des chameaux.

Chapitre 12, versets 10 à 16 du Livre de la Genèse, dans l'Ancien Testament. Traduit de l'hébreu par les équipes de notre programme de recherches La Bible En Ses Traditions.

Abraham serait-il un menteur ?

Abraham exode famille pays désert József Molnár
József Molnár (1821-1899), La Marche d'Abraham (huile sur toile, 1850), Galerie nationale hongroise, Budapest, Hongrie.

La Bible et la morale

Abraham oblige Sara, sa femme, à travestir la vérité et à dire aux Égyptiens qu’elle est sa sœur. Chelou… et potentiellement scandaleux !

Le patriarche Abraham est l’un des personnages les plus présents dans la Bible, Jésus lui-même en parle plusieurs fois. Le voir tremper dans pareille affaire peut surprendre...

Pourquoi Abraham demande-t-il à Sara de mentir ?

  • Pour préserver sa propre vie. Si une femme était considérée comme mariée, un Égyptien ne pouvait l'épouser qu'en tuant son mari — Sara étant apparemment sublime, un Égyptien (au moins !) aurait certainement voulu en faire son épouse et donc se débarrasser d'Abraham.
  • Pour obtenir des faveurs des Égyptiens. Si au contraire Sara n'était considérée que comme la sœur d'Abraham, il n'était alors possible d'obtenir sa main qu'en s'attirant les bonnes grâces de son frère — Malin.
Conseil d'Abraham Sarah tente désert tapis James Tissot
James Tissot (1836-1902), Le conseil d'Abram à Saraï (aquarelle, 1896-1900), Musée juif, New-York, États-Unis.

La Bible et la morale : Emmanuel Kant et le mensonge

Le lecteur moderne n'a pas les mêmes références culturelles et n'est pas non plus marqué par les mêmes préjugés philosophiques que le lecteur antique. Que nous le voulions ou non, nous baignons dans une culture qui façonne notre façon de lire le texte biblique. Il est donc bon de prendre conscience de notre propre contexte.

Et au sujet du mensonge, justement, un auteur a marqué durablement la modernité : Emmanuel Kant. On est encore tributaire de la pensée kantienne ! Kant fait de l’interdit du mensonge un absolu :

« L’interdit du mensonge est une nécessité pour rendre la vie possible.»

La morale kantienne se fonde sur l’universalité du devoir — ce que je fais, je dois pouvoir dire que tout le monde doit le faire. Du coup, si je dis que le mensonge est possible, tout le monde peut mentir. On ne peut alors plus se faire confiance ni se parler. Bref, dans cette configuration la vie est impossible.

Jusque-là, on comprend, mais Kant va jusqu'à dire que le devoir moral de ne jamais mentir, de dire à tout un chacun toute la vérité, doit être respecté en toute circonstance, fût-ce au prix de la mort. En l'occurrence, pour Abraham, c'est là que ça coince : le grand Patriarche serait-il tombé dans l'immoralité ?

Johann Gottlieb Becker (1720-1782), Emmanuel Kant (huile sur toile, 1768), Musée national Schiller,Marbach am Neckar, Allemagne.

Qu'en pensent les philosophes et théologiens des premiers siècles ?

Les Anciens n'avaient pas attendu Kant pour savoir que le mensonge est absolument prohibé — c'est dans le Décalogue, qui est toujours valable pour nous bien sûr !

On a interrogé Philon (Ie siècle) et Origène à Alexandrie (IIIe siècle), Jean Chrysostome à Constantinople (IVe siècle) ou Théodoret de Cyr à Antioche (Ve siècle).

Tous, vraiment tous, expliquent ce texte en disant que justement, Abraham ne ment pas !

Sandro Botticelli (1445-1510), Saint Augustin (fresque, 1480), Eglise San Salvatore di Ognissanti, Florence, Italie.

Pourquoi Abraham ne ment-il pas en disant que Sarah est sa sœur ?

Dans le cas présent, c'est Augustin d'Hippone qui nous a paru le plus convaincant.

« Comme on ne lui avait pas demandé si c'était sa femme, il n'a pas eu à répondre que ce ne l'était pas ; mais comme on lui demandait ce que lui était cette femme, il a répondu que c'était sa sœur, sans nier cependant qu'elle fût son épouse; il a tu une partie de la vérité, mais il n'a point dit de mensonge.»

Comment Augustin peut dire qu’Abraham ne ment pas en disant que Sara est « sa sœur » ?

  • Dans ce qu'il dit, il dit vrai. Une coutume de Haute Mésopotamie attestée par les tablettes de Nuzi permet à un homme d'adopter sa femme en tant que soeur, afin de lui conférer des privilèges accrus. Si tel est le statut de Sara, cette coutume permettrait d'expliquer pourquoi Abraham présente Sara comme sa sœur.
  • Dans ce qu'il ne dit pas, il agit en vérité. Avec sagesse, les Anciens savaient bien l'impératif général de dire la vérité doit tenir compte des circonstances, et en particulier de ceux auxquels on s'adresse. Il est possible, en certaines occasions exceptionnelles, que les interlocuteurs ne soient pas dignes de toute la vérité. Par exemple : je ne mens pas en ne disant pas à un assassin où se cache sa victime. Il n'a pas droit à le savoir, tout simplement. Kant aurait gagné à lire les Pères de l'Église.
Cinq Egyptiens beauté Sarah robe tentes James Tissot
James Tissot (1836-1902), Les Egyptiens admirant la beauté de Saraï (aquarelle, 1896-1902), Musée juif, New-York, États-Unis.

Conclusion sur les rapports entre la Bible et la morale

Si la Bible mentionne ce « mensonge » qui n'en est pas un, c’est aussi pour souligner le fait que dans l’histoire réelle, celle qui intéresse les Écritures — pas dans les traités abstraits de morale moderne —, la vie n'est pas un long fleuve tranquille ! Les personnages de l'histoire sainte se retrouvent dans des situations complexes, qui exigent des discernements complexes.

C'est bien pourquoi les humains ont besoin de l'Esprit Saint, unique Loi intérieure absolue, qui les pousse à faire le bien dans les circonstances concrètes où ils se trouvent ! C'est plutôt réconfortant pour nous, dans un monde qui ne s'est certes pas simplifié.

Le mot de la fin

À propos de morale, de mensonge et de vérité, le petit curé de campagne de Bernanos a, lui aussi, son mot à dire. Voilà ce qu'il dit à la comtesse lors d'un dialogue mémorable :

« – Je sais aussi que la souffrance a son langage, qu’on ne doit pas la prendre au mot, la condamner sur ses paroles, qu’elle blasphème tout, société, famille, patrie, Dieu même.

– Vous approuvez cela peut-être ?

– Je n’approuve pas, j’essaie de comprendre. Un prêtre est comme un médecin, il ne doit pas avoir peur des plaies, du pus, de la sanie. Toutes les plaies de l’âme suppurent, Madame. (…) Voilà pourquoi je n’ai pas retenu les paroles de mademoiselle, je n’en avais d’ailleurs pas le droit. Un prêtre n’a d’attention que pour la souffrance, si elle est vraie. Qu’importent les mots qui l’expriment ? Et seraient-ils autant de mensonges…

– Oui, le mensonge et la vérité sur le même plan, jolie morale !

– Je ne suis pas un professeur de morale. »

Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne, Plon, Paris, 1936.

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