Le Cantique des Cantiques : un poème érotique dans la Bible ?

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Sublime poème érotique, comment le Cantique des Cantiques évoque-t-il la beauté du corps et le désir amoureux ? Les deux amants sont-ils décrits physiquement ?

2 min et 56 secondes avec Sergio Leone, Gustav Klimt, Camille Claudel et tous nos sens en alerte
Dernière mise à jour -  
22/11/2024

Le Cantique des Cantiques en plein film au cinéma !


Menu du jour : cinéma, supplément western spaghetti. 

Le réalisateur italien Sergio Leone n’est pas vraiment un inconnu au bataillon… Il a réalisé des films devenus légendaires, parmi lesquels Pour une poignée de dollars (1964), Et pour quelques dollars de plus (1965) ou encore Le Bon, la Brute et le Truand (1966). 

En 1984, dans son film Once Upon a Time in America (en VO : Il était une fois en Amérique, avec Robert De Niro au casting et Ennio Morricone à la musique), les personnages de Deborah et Noodles récitent des vers du Cantique des cantiques avant de s’embrasser.

Le Cantique des quoi ? Le Cantique des Cantiques, l’un des plus célèbres poèmes bibliques ! Allez, après l’interprétation anglaise au cinéma, lisons cela en version française !

Le texte biblique qui décrit physiquement le Bien-Aimé du Cantique des Cantiques

Le Cantique des Cantiques est un poème en forme de dialogue entre deux amoureux. Interrogations et réponses alternent sur un rythme passionné. Ici, la bien-aimée décrit son compagnon.

Mon amoureux est resplendissant et cuivré, remarquable entre dix mille.

Sa tête est d’or, d'un or pur,

ses boucles ondulent, noires comme le corbeau.

Ses yeux : comme des colombes sur les cours d'eau, qui se baignent dans le lait, reposent dans la plénitude.

Ses joues : comme un parterre de baumiers, des massifs parfumés ;

ses lèvres sont des lys, elles distillent la myrrhe liquide.

Ses poignets ne sont que torsades serties de pierres de Tarsis ;

son ventre, de l'ivoire poli, couvert de saphirs.

Ses jambes, des colonnes d’albâtre, fondées sur des socles d’or pur

Son aspect est comme le Liban, distingué comme les cèdres.

Son palais n’est que douceurs, et de lui tout est désirable.

Tel est mon amoureux, tel est mon compagnon, filles de Jérusalem.

Cantique des Cantiques, chapitre 5, versets 10 à 16. Traduit de l’hébreu par les équipes du programme de recherches La Bible en ses Traditions.

Un dialogue amoureux qui exalte la beauté du corps

peinture tons dorés et jaunes hommes enlaçant et comme recouvrant la femme qu'il embrasse parterre de fleurs
Gustav Klimt (1862-1918), Le Baiser (1907-1908, huile sur toile, 180 x 180 cm), Österreichische Galerie Belvedere, Vienne (Autriche). Domaine public.

De la tête aux pieds

Le Cantique des Cantiques est par excellence le poème biblique qui exalte la beauté du corps humain

D’ailleurs, c'est là un détail exceptionnel, car la Bible ne décrit presque jamais le physique de ses principaux personnages. On ne sait rien de l'apparence physique d'Abraham ou de Moïse par exemple. Idem, on ne sait rien de l'apparence physique de Jésus

La bien-aimée décrit le corps du bien-aimé de la tête aux pieds, s'arrêtant sur chaque partie pour en exalter la beauté au moyen de métaphores fleuries :

  • la tête : « Sa tête est de l’or pur »
  • les cheveux : « ses boucles de cheveux, flexibles comme des palmes, sont noires comme le corbeau »
  • les yeux : « Ses yeux sont comme des colombes au bord des ruisseaux se baignant dans le lait, posées sur les rives »
  • les joues : « ses joues sont comme des parterres de baumiers, des carrés de plantes odorantes »
  • les lèvres : « ses lèvres sont des lys, d’où découle la myrrhe la plus pure »
  • les mains : « ses mains sont des cylindres d’or émaillés de pierres de Tharsis »
  • le ventre : « son ventre est un chef-d’œuvre d’ivoire couvert de saphirs »
  • les jambes : « ses jambes sont des colonnes d’albâtre, posées sur des bases d’or pur. Il a l’aspect du Liban, élégant comme le cèdre »
  • la bouche : « Son palais n’est que douceur »

Remarque interprétative : elle commence avec la tête et termine avec la bouche — pour finir dans un baiser ?

photo sculpture noire homme dansant avec une femme qu'il enlace
Camille Claudel (1864-1943), La Valse (vers 1893, sculpture en bronze, 43 x 23 x 34 cm) Musée Rodin, Paris (France). Domaine public.

Tout est beau chez lui

Cette description du bien-aimé parcourt son corps de la tête au pied, dans un mouvement de gradation… qui finit par une sorte de généralisation : « tout, en lui, est désirable. » (Ct 5, 16)

Cette description prend d’autant plus des airs de « description totale » que la bien-aimée enserre cette énumération dans une sorte de répétition : 

  • En introduction : « Mon bien-aimé est frais et vermeil, il se distingue entre dix mille » (Ct 5, 10)
  • En conclusion : « Tel est mon bien-aimé, tel est mon ami, filles de Jérusalem. » (Ct 5, 17)

Cette magnifique description est d’autant plus remarquable qu’elle ne décrit pas « la » bien-aimée, mais « le » bien-aimé. Or, bien souvent en poésie, en peinture ou en littérature, ce sont les femmes qui sont magnifiées, sur-érotisées. 

Ici, il s’agit donc d’une splendide description physique d’homme… qui change de l'hyper-sensualisation du corps féminin. Et cette description, qui plus est, sort de la bouche d’une femme !

peinture abstraite formes de corps multicolores
Egon Tschirch (1889-1948), série Le cantique des cantiques, étude n°3 (1923, huile sur toile, 64 cm x 47 cm), Art Museum, Ahrenshoop (Allemagne). Domaine public.

Ça parle dans tous les sens 

Entre les deux amoureux du Cantique, tous les sens sont en alertes ! En effet, les 5 sens sont convoqués tout au long de ce poème : 

  • l'ouïe — ils s’entendent : « Je dors, mais mon cœur veille… C’est la voix de mon bien-aimé ! Il frappe ! » (Ct 5, 2)
  • la vue — ils se voient : « Ah ! Que tu es belle, mon amie ! Ah ! Que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes au travers de ton voile. » (Ct 4, 1)
  • l’odorat — ils se sentent : « Qu’est-ce là qui monte du désert comme une colonne de fumée odorante d’encens et de myrrhe, de tous les aromates des marchands ? » (Ct 3, 6)
  • le toucher — ils se touchent : « Ah ! Que tu es belle ! Que tu es douce, amour, en tes caresses ! » (Ct 7, 7)
  • le goût — ils se goûtent : « Un miel pur coule de tes lèvres, ô fiancée, le miel et le lait, sous ta langue. » (Ct 4, 11)
peinture homme et femme torse nu paysage désertique
Gustave Wappers (1803-1874), Les Sulamites (1870, huile sur toile, 227 x 135 cm), Musée royal des Beaux-Arts, Anvers (Belgique). Domaine public.

La poésie pour chanter la beauté de la sexualité

La thématique corporelle est très présente tout au long de ce poème. Et elle prend également des accents sexuels très poétiques

« J’ai ôté ma tunique : devrais-je la remettre ? J’ai lavé mes pieds : devrais-je les salir ? Mon bien-aimé a passé la main par la fente de la porte ; mes entrailles ont frémi : c’était lui ! » (Ct 5, 3-4)

Ces images fleuries servent à dire l’amour — qui semble ne pouvoir être dit autrement que poétiquement ! 

Bref, le Cantique des Cantiques montre que l’expérience du langage poétique apparaît comme le moyen unique pour exprimer l’amour et le désir que les personnages ressentent l’un pour l’autre… car l’amour déborde le langage et oblige à créer des nouvelles voies d’expression.

Auguste Rodin (1840-1917), Le Baiser (1882, sculpture en marbre, 181 x 112 x 117 cm), Musée Rodin, Paris, (France). Domaine public.

Le mot de la fin

Vous n’avez pas manqué de remarquer que, dans le Cantique, les descriptions se construisent à partir d’images tirées de la nature et des paysages (les colombes, les arbres, les fleurs, les pierres précieuses)... Pour notre ami et collaborateur bibliste Łukasz Popko, c'est un détail essentiel :

« Je trouve particulièrement révélateur que les amoureux se décrivent mutuellement dans les termes de la nature et du paysage. Elle est comme un lys, une vallée pleine d’enfants nouveau-nés qui s’ébrouent. Il est comme un arbre, grand, fort, odorant et précieux. En la présence de son bien-aimé, on découvre une expérience similaire d’un espace qui nous dépasse, d’un lieu où vivre. Te voilà ! En toi l’univers me sourit ! Tu deviens mon univers, mon atmosphère. De plus, cette comparaison fonctionne dans les deux sens. En toi je vois mes collines, mais quand je vois les véritables collines autour de moi, elles me parlent aussi de toi. Antoine de Saint-Exupéry a bien saisi dans son Petit Prince l’expérience du petit renard parlant de son ami : “Et puis regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c’est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d’or. Alors ce sera merveilleux quand tu m’auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j’aimerai le bruit du vent dans le blé.” Ma perception d’une personne que j’aime devient la voie par laquelle je perçois et j’habite le monde. »

Łukasz Popko et Timothy Radcliffe, Interroger Dieu, Paris, Cerf, 2024, p. 159

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