Une lutte en pleine nuit : Jacob avec l’ange

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Qui est la personne qui lutte avec Jacob dans le Livre de la Genèse ? Qui gagne ce combat ? Que signifie la blessure à la hanche de Jacob qui repart en boitant ?

3 minutes et 50 secondes avec U2, Eugène Delacroix, Rembrandt et Odilon Redon
Dernière mise à jour -  
24/11/2023

Le combat de Jacob version rock avec U2

Inscrite sur leur album The Joshua Tree sorti en 1987, la chanson Bullet The Blue Sky du groupe U2 sonne comme une parfaite entrée en matière pour notre numéro d’aujourd’hui :

“Jacob wrestled the angel / and the angel was overcome”
« Jacob a lutté contre l'ange / et l'ange a été vaincu »

Sans plus de transition, découvrez le texte biblique qui a inspiré ces paroles au plus célèbre groupe de rock irlandais.

Le texte biblique qui raconte le combat de Jacob

Ce court passage biblique raconte un mystérieux combat mettant aux prises Jacob et un personnage inconnu. Il intervient au cours d’une nuit, après le passage d’une rivière et juste avant sa réconciliation avec son frère Esaü.

Et [Jacob] se leva dans la même nuit et prit ses deux femmes et ses deux servantes et ses onze enfants et il traversa le gué de Yabboq. Il les prit et leur fit traverser le torrent et il fit traverser ce qui était à lui.

Jacob resta seul et un homme lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore.

Il vit qu’il ne l’emportait pas sur lui et il toucha à l’emboîture de sa hanche et l’emboîture de la hanche de Jacob se démit pendant qu’il luttait avec lui.

Et [l’homme] dit :
— Laisse-moi aller, car l’aurore se lève.

Et [Jacob] dit :
— Je ne te laisserai pas sans que tu m’aies béni.

Il lui dit :
— Quel est ton nom ?

Et il dit :
— Jacob.

Et il dit :
— On n’appellera plus ton nom Jacob, mais Israël, car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes et tu l’as emporté.

Et Jacob demanda, en disant :
— Apprends-moi, je te prie, ton nom.

Et il dit :
— Pourquoi demandes-tu mon nom ?

Et il le bénit là.

Et Jacob appela le nom du lieu Penouël, car j’ai vu Dieu face à face, et mon âme a été délivrée.

Et le soleil se leva sur lui comme il traversait Penouël.

Quant à lui, il boitait de la hanche.

C’est pourquoi les enfants d’Israël ne mangent pas le nerf de la hanche qui est à l’emboîtement de la cuisse, jusqu’à ce jour car il a touché à l’emboîtement de la cuisse de Jacob, au nerf de la hanche.

Livre de la Genèse, chapitre 32, versets 23 à 33. Traduit de l’hébreu par les équipes du programme de recherches La Bible en ses traditions.

La lutte de Jacob avec l’ange, un combat mystérieux

Eugène Delacroix (1798-1863), détail de La lutte de Jacob avec l'ange (vers 1860, huile et cire sur plâtre 751 × 485 cm), église Saint-Sulpice, Paris (France). Domaine public.

Qui est l’homme qui lutte avec Jacob ?

Ce récit est couramment appelé « le combat de Jacob avec l’ange » (c'est à peu près le titre que donne d'ailleurs Delacroix à son tableau). Pourtant, rien ne précise d’emblée qu’il s’agit d’un ange.

« Jacob resta seul et un homme lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore. » (Gn 32, 25)

Le lecteur, à la manière de Jacob, ne sait pas non plus qui est cette personne contre qui Jacob lutte durant la nuit. Est-ce Esaü, le frère aîné à qui Jacob a volé la bénédiction de leur père Isaac ? Si c’est Esaü, il a bien des raisons d’en vouloir à Jacob — voire de souhaiter le tuer pour assouvir sa vengeance...

Mais cet adversaire demande à Jacob son nom : or Esaü connaît son frère, il connaît son nom. Il est donc peu probable qu’il s’agisse d’Esaü. Qui est-ce alors ?

Léon Bonnat (1833-1922), La lutte de Jacob avec l'ange (1876, crayon et craie noire sur papier, 20 x 15 cm), Dahesh Museum of Art, New York (États-Unis). Domaine public.

Un combat en pleine nuit

Dans ce récit mystérieux racontant un affrontement au corps à corps, Jacob paraît d'abord triompher. Puis, lorsqu'il a reconnu le caractère surnaturel de son adversaire, il force sa bénédiction.

« Et il lui dit : "Laisse-moi aller, car déjà l’aurore se lève."
[Jacob] répondit : "Je ne te laisserai pas sans que tu m’aies béni." » (Gn 32, 27)

La suite du dialogue révèle l’identité de l’inconnu : il s’agit de Dieu, puisqu’il s’adresse à Jacob en lui donnant un nouveau nom : Israël, ce qui signifie « lutter-avec-Dieu » — Jacob a donc combattu… avec Dieu.

Pour l’anecdote, le suffixe « El » vient du terme hébreu « Elohim » et désigne Dieu, comme dans les prénoms Dani-el ; Ezechi-el ; Mika-el ou encore Emmanu-el… ou en préfixe comme le prophète El-ie, ou El-isabeth… (oui bon vous avez compris).

« On n’appellera plus ton nom Jacob, mais Israël, car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes et tu l’as emporté. » (Gn 32, 29)

Symboliquement, ce récit montre donc comment Jacob s'accroche à Dieu et lui force la main pour obtenir une bénédiction. Par cette bénédiction arrachée au plus fort de la lutte, Jacob oblige Dieu vis-à-vis de ceux qui, après lui, porteront le nom d'Israël (c'est-à-dire sa famille, et, par extension, le peuple d’Israël).

C’est ainsi que cette scène est devenue, dans la tradition juive et la tradition chrétienne, une image du combat spirituel et de l'efficacité de la prière.

Rembrandt (ca 1606-1669), Jacob luttant avec l'ange (1659, huile sur toile, 137 cm x 116 cm), Gemäldegalerie, Berlin (Allemagne). Domaine public.

« Qui es-tu ? » Donner ou ne pas donner son nom

Tandis que Dieu a demandé son nom à Jacob pour exaucer sa prière et pour le bénir… Jacob exige la même chose en retour : il veut savoir à qui il a affaire, savoir contre qui il a combattu pendant toute la nuit — car Jacob se bat en effet « jusqu’au matin » (Gn 32,25).

« Il dit : "Quel est ton nom ?"
Il répondit : "Jacob."
Et il lui dit : "On n’appellera plus ton nom Jacob, mais Israël, car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes et tu l’as emporté."
Et Jacob lui demanda : "Apprends-moi, je te prie, ton nom."
Il répondit : "Pourquoi demandes-tu mon nom ?"
Et il le bénit en ce même lieu. » (Gn 32, 28-30)

Cette scène donne à voir 2 éléments importants, l’un concernant Jacob, l’autre concernant Dieu :

  • Tout d’abord, Jacob se distingue par son audace et son assurance. Comme Abraham (son grand-père), Jacob ose s’adresser à Dieu familièrement. En lui retournant la question, Jacob montre qu’il parle à Dieu avec franchise et intimité.
  • Mais il n’obtient pas de réponse à sa question pour autant… Ce qui n’est pas étonnant, finalement. En effet, comme la tradition juive le rappelle, le nom de Dieu (YHWH, le fameux tétragramme) est inexprimable, car Dieu est au-dessus de tout ce que l’on peut se représenter : il est ineffable.
Odilon Redon (1840-1916), Le combat de Jacob avec l'ange (entre 1900 et 1915, huile sur toile, 143,5 cm x 62,2 cm), Brooklyn Museum (États-Unis). Domaine public.

La blessure de Jacob

Les Pères de l’Église ont fait une lecture symbolique de la blessure à la hanche de Jacob. Leur question est la suivante : quelle est la signification de cette infirmité qui se prolonge et qui demeure une fois le combat terminé ?

« Et le soleil se leva sur lui comme il traversait Penouël. Quant à [Jacob], il boitait de la hanche. » (Gn 32, 32)

La blessure de Jacob, c’est une façon de dire que Dieu blesse l’orgueil de Jacob : à partir de ce moment, il ne pourra plus marcher fièrement, il sera boiteux. On peut même prolonger la métaphore : si Jacob devient boiteux, alors il doit désormais s’appuyer sur un bâton — et le bâton par excellence sur lequel il devra s’appuyer, c’est Dieu !

Cette mention finale de la blessure de Jacob nous a d’ailleurs fait penser à une célèbre formule de Saint Paul, dans sa Deuxième Lettre aux Corinthiens. Ici, il ne s’agit pas de blessure à la hanche, mais de ce que Paul appelle sans plus de détail « une écharde », et qui lui rappelle sa faiblesse et son orgueil blessé :

« Et pour que l'excellence même de ces révélations ne m'enorgueillisse pas, il m'a été mis une écharde en la chair [...] pour que je ne m'enorgueillisse pas ! » (2 Co 12, 7)
Gustave Moreau (1826-1898), Jacob et l'ange (1878, dimensions inconnues), Musée d'Orsay, Paris (France), Domaine public.

Le mot de la fin

La conclusion de ce combat ?  La blessure de Jacob à la hanche. À la fin du duel, Jacob repart en claudiquant. Finalement, cette démarche humble et blessée est peut-être la meilleure :

« Le papillon monte au ciel en titubant comme un ivrogne.
C’est la bonne façon. »

Christian Bobin (1951-2022), La grande vie, Paris, Gallimard, 2014, p. 35

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