Qui est Ruth dans le récit de l'Ancien Testament ? Que prescrit la loi juive concernant les mariages avec des étrangers ? En quoi le Livre de Ruth est-il écrit tout entier contre cet interdit ?
Dans leur morceau I Will Follow, deuxième single de leur premier album Boy sorti en octobre 1980, le mythique groupe irlandais U2 s'inspire de cette phrase biblique de Ruth exprimant sa fidélité, s'adressant à... sa belle-mère : « Oui, là où tu iras, j'irai » (Rt 1,16).
Et reprenant la même inspiration, Céline Dion, dans sa célèbre chanson J'irai où tu iras, chante la fidélité d'une femme pour son bien-aimé, fidélité qui, de même, se dit en reprenant les termes bibliques employés par Ruth l’étrangère, qui après la mort de son mari, choisit de demeurer fidèle à sa belle-mère Naomi.
Mais no worries, on revient sur cet épisode biblique et on vous explique ça simplement dans l'éclairage.
Ce texte du Livre de Ruth se lit comme une petite histoire.
Les Hébreux, avec Josué, ont conquis la Terre promise mais il reste bien des peuples, les Cananéens en particulier, qui continuent de les attaquer. Dieu, pour sauver Israël, envoie alors des Juges, des héros, qui vont les libérer de la main de leurs oppresseurs.
On était dans la période où jugeaient les Juges et il y avait une famine sur la terre, et un homme se mit en route depuis Bethléem de Juda, pour aller séjourner dans le pays de Moab, lui et sa femme et ses fils.
Et l'homme avait pour nom Abimélek, et la femme avait pour nom Noémi, et les deux fils avaient pour nom Maalôn et Chelaiôn, Ephratéens [originaires] de Bethléem de Juda, et ils allèrent au pays de Moab et ils demeuraient là.
Abimélek le mari de Noémi mourut, et elle fut laissée, elle et ses deux fils. Et ils prirent pour femmes des Moabites, l'une avait pour nom Orpah et la deuxième avait pour nom Ruth, et ils séjournèrent là pendant dix ans.
Et ils moururent eux aussi, et Noémi resta seule, sans son mari et sans ses fils. Et elle sortit de l'endroit où elle demeurait et ses deux belles-filles avec elle, et elles se mirent en chemin afin de retourner dans la terre de Juda.
Noémi dit à ses belles-filles :
— Allez, retournez-vous-en chacune dans la maison de sa mère. Que le Seigneur fasse œuvre de pitié envers vous comme vous l’avez fait envers ceux qui sont morts et envers moi ! Qu'il vous donne et que vous trouviez du repos, chacune dans la maison de son époux !
Et elle les baisa tendrement. Et elles élevèrent la voix et pleurèrent. Et elles lui dirent :
— Avec toi, nous retournons vers ton peuple.
Et Noémi dit :
— Retournez donc, mes filles ; dans quel but marchez-vous avec moi ? [...]
Et elles élevèrent la voix et pleurèrent encore et Orpah baisa tendrement sa belle-mère et retourna vers son peuple, mais Ruth marcha à sa suite.
Et Noémi dit à Ruth :
— Vois, ta belle-sœur est retournée à son peuple et à son dieu, retourne-t'en donc toi aussi, derrière ta belle-sœur.
Mais Ruth dit :
— Ne t'oppose pas à moi pour que je t'abandonne ou m’en retourne en arrière loin de toi : car où que tu ailles, si tu y vas, j'irai, et si tu séjournes quelque part, j'y séjournerai, ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu mon Dieu, et où que tu sois, si tu meurs, je mourrai et là je serai ensevelie. Que le Seigneur fasse ceci pour moi, et qu'il ajoute ceci : c'est la mort qui séparera du milieu de toi et de moi.
Alors Noémi, voyant qu'elle s'affermissait [dans le propos] de cheminer avec elle, cessa désormais de s'opposer à elle.
Ruth est une jeune veuve. À cause d'une famine survenue en Galilée,
Noémi souhaite alors rejoindre sa ville d'origine, Bethléem. Elle persuade Orpah de ne pas la suivre et de rester en Moab, mais Ruth, par fidélité et dévouement, insiste pour rentrer avec sa belle-mère en Judée :
Où que tu ailles, si tu y vas, j'irai, et si tu séjournes quelque part, j'y séjournerai, ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu mon Dieu (Rt 1,16)
Du coup, Noémi rentre chez elle, accompagnée de sa belle-fille Ruth.
Dans les récits bibliques, les noms sont porteurs de sens. L'auteur biblique joue ici sur les assonances et associations avec des mots en hébreu.
Les deux fils, qui meurent jeunes, se nomment :
Les deux belles-filles portent un nom qui révèle leur histoire :
Ainsi, rien qu'à lire les prénoms en hébreu, le lecteur biblique saisit que lui sont indiqués les grands traits de la destinée que chacun de ces personnages.
Bien souvent, pour mieux comprendre un épisode de l’Ancien Testament, il faut se plonger dans l'histoire et le contexte du récit biblique. Et dans le texte du jour, l'élément-clé, c'est l'origine de Ruth.
En effet, Ruth est une femme Moabite, une étrangère et, à ce titre, selon les livres d'Esdras et la tradition juive, il est interdit à un Juif de l'épouser.
Dans le Livre d'Esdras, au chapitre 10, les Judéens revenus de l'Exil à Babylone et mariés à des femmes étrangères doivent les renvoyer, pour écarter ce péché de leur sein :
"Alors Séchénias, fils de Jéhiel, d’entre les fils d’Elam, prit la parole et dit à Esdras :
— Nous avons violé la loi de notre Dieu et nous avons épousé des femmes des populations étrangères. Et maintenant il reste à cet égard à Israël une espérance, concluons maintenant une alliance avec notre Dieu en vue de renvoyer toutes les femmes et les enfants issus d’elles selon le conseil de mon seigneur et de ceux qui craignent les commandements de notre Dieu, et qu’il soit fait selon la Loi." (Esd 10, 2-3)
Dans notre histoire de Ruth, tous les éléments sont réunis pour parvenir à la transgression de cet interdit.
Ce passage est ainsi une expression éminente de la place que les étrangers et les païens viennent prendre au milieu du peuple d'Israël : l'élection d'un peuple particulier ne se fait pas au détriment du reste du monde, mais étrangers et païens sont également appelés à prendre part à l'histoire sainte voulue par Dieu.
Et en réalité, tout le Livre de Ruth est précisément écrit contre cette réserve-interdiction du Deutéronome et du livre d'Esdras :
Mais ça, on y revient en détail pour le récit de la rencontre entre Ruth et Booz, au chapitre suivant !
On conclut en philosophie avec les mots de notre bon Gabriel Marcel, cherchant à dégager la spécificité d'une fidélité authentique et vivante :
Le fait de conserver purement et simplement ne comporte pas de justification spirituelle ; la fidélité ne représente une valeur que dans la mesure où elle assure la permanence d'une âme ou d'un amour. Ceci revient à dire qu'on méconnaît entièrement le sens et la valeur de la fidélité si l'on y voit une forme d'inertie ; elle est et doit rester une flamme. Mais cette flamme ne saurait brûler à vide, elle est appelée à prendre corps dans des actes et dans des œuvres qui sont des témoignages.
La fidélité est liée à une ignorance fondamentale de l'avenir. J'ignore, en jurant fidélité à un être, quel avenir nous attend, et même en un sens quel être il sera demain ; et c'est cette ignorance même qui confère à mon serment sa valeur et son poids.
Gabriel Marcel, Le Mystère de l'être, Paris, Aubier, 1951, vol. 1
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